Le film de Jeff Nichols, Take Shelter, est encore plus ennuyeux qu'une dépression filmée par un dépressif avec des moyens déprimants. C'est un film-métaphore, et qui hélas épuise sa forme dès l'annonce de ses contours: la dépression climatique que le personnage principal observe dans le ciel est le reflet (l'extériorisation? la projection? l'écho) de la dépression qu'il est en train de traverser. Le mécanisme est si simplet qu'il appelait une réalisation complexe, qui ne vient pas. Il ne s'agit que de ça, au final: d'un gros coup de mou vécu par un Américain moyen avec femme, enfant et chien. Curtis LaForche a du mal à communiquer avec ce qui l'entoure? C'est dommage. Sa fille aussi, d'ailleurs, qui est sourde et muette. Sa femme, elle, ça va, mais bon, elle brode des coussins, chacun sa pathologie. Un jour Curtis rate la messe. Aïe. Un autre jour, il se réveille après avoir fait pipi au lit. Ouille. Il ne doit pas aller très bien. Pourquoi? Un psy comprend tout: et votre maman, Curtis? Ah oui. Bon sang mais c'est bien sûr. La mère de Curtis a été diagnostiquée schizophrène paranoïde. Papa a fait ce qu'il a pu. Oh my god. On a donc une situation pré-apocalyptique hyper tendue, genre Curtis est pas sûr de vouloir aller à la kermesse du quartier, Curtis voit des signes partout (surtout des nuages qui font Bouh! et des oiseaux qui se prennent pour des grenouilles et tombent raides morts), Curtis construit un abri anti-tempête (il en a déjà un mais il en veut un plus grand — et là on comprend: ne serait-ce pas, ouh-là, un indice? ne voudrait-on pas nous dire, de façon hyper subtil, qu'il éprouve un sentiment d'insécurité? et que ce ce sentiment d'insécurité se traduit en fait par un besoin de se replier, de s'isoler? allô maman dolto?).
Pesant comme une meringue à base de béton, simpliste comme un conte pour adulte, doté d'une musique arvo-partique allant crescendo et censée nous filer les jetons genre vous-avez-vu-Shining?, Take Shelter finit par être pitoyable. Les cauchemars de Curtis, dont il se réveille toujours en criant, en sueur, en se relevant brusquement, un peu comme dans les films, quoi, sont tellement téléphonés qu'on raccroche malgré soi. La métaphore empêche ici l'image de creuser des lignes de fuite. Car Curtis sonde littéralement le sol avec un ami coéquipier (ils forent!!!), alors que c'est du ciel que vient la menace. Evidemment, tout le monde l'a dit, la vraie métaphore, l'ultime, c'est l'américaine way of life. La peur recommencée de l'ennemi intérieur. La panique atomique. Qu'à cela ne tienne! Curtis achète des masques à gaz. N'en jetez plus, par pitié. On a compris. Pas une once d'humour, pas un poil de second degré, aucun recul: le film de Nichols avance comme une démonstration psy dénuée de toute profondeur. Tout signifie. Et ne signifie rien d'autre que le sens premier. La déprime est la déprime est la déprime.
Take Shelter se termine encore plus mal qu'il n'avait débuté. D'autres que Curtis (sa femme, sa fille, la caméra…) finissent par voir eux aussi la dépression sous sa forme extérieure et furieusement climatique. Ouh-là. Serait-ce à dire que personne n'est à l'abri? Notre dépressif (jouée par Michael Shannon, spécialisé dans les rôles je-suis-pas-normal-mais-je-le-sais) aurait-il eu raison de vouloir protéger les siens? La tempête arrive-t-elle pour de bon?? L'Amérique est-elle vraiment menacée? Va-t-il pleuvoir? Doit-on flipper? A-t-on eu raison de gazer les Irakiens? Interrogation. Questionnement. Bâillement, oui.
Toute cette histoire de tornade annoncée est, au final, presque comique d'ennui. Comme une énième version du Wizard of Oz, mais filmée par un œdipien triste et pataud. Dorothy est sourde et muette, le bonhomme en fer blanc rouille après avoir fait pipi au lit, on refile Toto au frangin de peur qu'il morde, la sorcière est schizo et internée – quant à l'épouvantail, eh bien ce doit être le spectateur, planté dans la salle, qui attend vainement autre chose que la promesse d'un grand coup d'aspiro.