"Rabelais, dit-il, est le premier
écrivain à l’ère de l’imprimerie. De même que Luther est le dernier écrivain de
l’ère manuscrite. Bien sûr, dit-il, sans l’imprimerie Luther serait resté un
simple moine hérétique. L’imprimerie, dit-il, en ôtant la mousse à la surface
de sa tasse, a fait de Luther le puissant qu’il devint
mais c’était essentiellement un prédicateur, et non un écrivain. Il connaissait
son public et écrivait pour lui. Rabelais, lui, dit-il en suçant sa cuiller, a
compris ce que signifiait pour l’écrivain ce nouveau miracle qui était l’imprimerie. Ça signifiait que vous aviez
gagné le monde et perdu le public. Vous ne saviez plus qui vous lisait ni
pourquoi. Vous ne saviez plus pour qui vous écriviez ni même pourquoi vous
écriviez. Rabelais, dit-il, trouvait ça insupportable, comique et délectable,
tout ça en même temps."
(Gabriel Josipovici, Tout passe, éd. Quidam, à paraître 2012)
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