Vie électrique, le "roman" de Jean-Philippe Rossignol, pose problème, mais ce problème, il le résout très vite de lui-même, comme on défait un nœud dont on a pas besoin pour grimper cinq centimètres plus haut. On aimerait tant pouvoir l'aimer et le défendre, ce livre, qui arpente, à défaut d'éclairer, des territoires pour lesquels on éprouve plus que de la sympathie. Car Vie électrique, avec son titre intense qui cache tant bien que mal le plus bas des voltages, se préoccupe de tout ce que nous aimons ou presque: il y est question de Vollmann, de Jean Genet, de Céline, de Thoreau, de Faulkner, Kerouac, Guillermo Cabrera Infante, Julian Rios, B.S. Johnson (!), et même Brinkmann (!!), Kathy Acker (!!!) et j'en passe… Comment s'énerver devant pareil Panthéon?
Le hic, c'est que Rossignol ne sait pas trop comment réinventer Lagarde et Michard sous haut patronage sollersien. Alors ça commence comme un roman, à Berlin, où l'amour, peut-être, et Bach, sans doute, bref, une anti-chambre assez capitonnée de références qui, soudain, page 28, se change en petites natures vivantes, approches en demi-teinte ou coups de cœur sur divers auteurs. Bon, entre-temps, le lecteur s'est déjà inquiété. Des phrases comme "l'homme viril qui rate le coche et ne sait pas comment s'en sortir haut la main" font tiquer, mais peut-être est-ce une ruse. Il est également question d'un gouverneur qui "conduit trente kilomètres", de gens qui boivent "en toute quiétude". Pourquoi pas.
Puis l'amorce romanesque, une fois claquée, laisse sa fumée se dissiper, et nous voilà dans une géographie littéraire séduisante, où bruissent les noms respectés, et surtout où s'installe un exercice d'admiration dont on attend… bref, qu'on attend au tournant.
Parlant du Gilles de Watteau, Rossignol fait montre de subtilité, et d'intuition, on se dit, ouf, ça repart, ça peut marcher, et puis, pouf, qu'apprend-on? "Je n'ai pas dans ma besace de définition toute faite de l'amour parce qu'il n'y en a pas […]". Flaubert aurait souligné en souriant. Partant du mystérieux principe, apparemment édicté p.71, comme quoi "les visites rapides sont les meilleures", notre guide ès œuvres de rupture traverse alors la grande galerie du louvre littéraire tel Belmondo jeunot pressé de retrouver le monde extérieur.
Et voilà que pleuvent les poncifs et que se fait jour une forme de "critique" digne des pages littéraires les plus fainéantes des magazines les plus nonchalants. On apprend ainsi que, côté Vollmann, "les projets sont monumentaux", que La Famille Royale est "un roman monstre, une odyssée de l'alcool et de la débauche où le lecteur se voit soudain pris de vertige". Mazette. Geoffrey Chaucer ? On en parle, oui, dans un style speedy-wiki-pedia: une page et demie pour nous rappeler qui il fut. B.S. Johnson? Allons donc. Et l'auteur de nous rappeler (ou de nous révéler?) que "la littérature n'est pas une carrière, comme on le dit pour les militaires, les économistes ou encore une grande partie des écrivains actuels". Oui, bon, d'accord, bien sûr, bravo, merci mais BS Johnson? Quelques lignes rachitiques qui ne disent rien, et semblent juste pressés de passer à autre chose. Brinkman? "Sa méthode consiste à faire chanter la langue allemande". Bigre, nous voilà bien avancés. Kathy Acker? Figurez-vous que la "manière avec laquelle Acker manie les discours et les histoires est impressionnante". Figurez-vous aussi que le Festin nu, de Burroughs, est "explosif et célèbre". Même Teknich'art est moins léger, parfois, c'est pour dire.
Mais qu'a voulu faire Rossignol? Des trilles? Croyait-il que le choix de ses lectures allait l'exonérer de la moindre clairvoyance, du moindre effort, de la moindre profondeur, perspective, intuition ? L'auteur pense pourtant avoir trouvé la définition de sa démarche: "de l'ondulatoire en acte". Pardon? Du trémoussé virtuel, plutôt. Les derniers mots du livre reprennent ceux de l'épigraphe (célinienne, bien sûr), comme si Finnegans Wake n'était qu'une pirouette se mordant la queue, recyclable ad libitum (ou nauseam). Oui, jouons aussi le jeu de la boucle et répétons: les visites rapides sont les meilleures.
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