En avril prochain, les éditions Grasset sortiront un livre de Frédéric Beigbeder, intitulé Premier bilan après apocalypse. L'éditeur s'est fendu (en deux?) d'une présentation du livre, sans doute afin que ledit ouvrage ne soit pas confondu avec l'opus où FB faisait les sous-titres pour la Fnac. Jusque-là, rien de remarquable, si ce n'est l'usage que fait le communiqué Grasset du terme "surprenant". Mais lisons donc le chouette communiqué en question:
"L’apocalypse, serait-ce donc l’édition numérique, ou comme dans Fahrenheit 451 de Ray Bradbury, la température à laquelle le papier s’enflamme et se consume ?Dans son Dernier inventaire avant liquidation, Frédéric Beigbeder commentait le choix de la FNAC. Désormais, dans cette arche de papier, il sauve au vingtième siècle tous les livres, pour être précis les 100 œuvres, qu’il souhaite conserver au vingt-et-unième siècle. C’est donc un choix totalement personnel, égotiste, joyeux, inattendu, parfois classique (Fitzgerald, Paul-Jean Toulet, Salinger et d’autres grands), souvent surprenant (Lolita Pille, Simon Libérati, Patrick Besson, Jay Mc Inerney, Bret Easton Ellis, Gabriel Matzneff, d’autres oiseaux de nuit, d’autres perturbateurs). Il est rare d’établir le panorama d’une littérature en train de se faire, de s’améliorer, de s’inventer. Avec ce livre-manifeste, c’est le Beigbeder livresque, joueur, lecteur, que nous découvrons, en même temps qu’une autobiographie en fragments." [© Éditions Grasset, 2011]
A priori, "surprenant" signifie: qui provoque la surprise. Mais ici, il a un sens différent. Forcément, puisque Lolita Pille publie chez Grasset et que c'est la lecture du roman de Beigbeder, 99 francs, qui l'a poussé à l'écrire; puisque Simon Libérati partage les capots de voiture enneigés avec FB et est même cité dans Un roman français, de FB ; puisque Patrick Besson est juré au prix Renaudot qu'a remporté FB; puisque Bret Easton Ellis est sans cesse comparé à FB par nos critiques avertis; puisque Matzneff est régulièrement encensé par son ami FB.
Donc, que signifie ici "surprenant"? Si effectivement il s'agit des livres dignes d'être "sauvés" du XXème siècle, c'est surprenant. Encore qu'un ou deux autres adjectifs, rimant avec pathétique, viendraient plutôt à l'esprit. Or c'est justement la fonction de cet "étonnant": couper l'herbe sous le pied, anticiper la suggestion d'un autre adjectif. Ce qui est surprenant ce n'est pas que Beigbeder place dans son panthéon littéraire des écrivains aussi monumentaux, c'est que cela surprenne. Vous suivez? "Surprenant", ici, est auto-référentiel. Un surprenant au carré, qui se suce la queue. Ça s'appelle, pour utiliser un terme un peu technique, de l'humour. C'est ironique. Parce que si ce n'est pas ironique, qu'est-ce que ça peut bien être? Mystère. C'est un peu comme cette expression "arche de papier", qu'on trouve dans le communiqué ainsi que sous la plume de Pierre Mérot, à qui FB a décerné le prix de Flore.
Bref, tout ça est surprenant. Nous sommes donc surpris. Alors que si c'était étonnant, nous serions juste étonnés. Notre félicité tient à si peu de choses, décidément.
"Chacun a ses faiblesses. Littré en avait pour sa bonne. Un jour qu’il la lutinait, Madame Littré poussa la porte et s’écria : « Ah, monsieur, je suis surprise ! » Et le regretté Littré, se rajustant, lui répondit : « Non, madame, vous êtes étonnée. C’est nous qui sommes surpris. »" (Alain Duchesne et Thierry Leguay la Nuance)
RépondreSupprimerRemplaçons Littré par Grasset, la bonne par FB, et la madame Littré par Claro ou tout critique.