Les Carnets de notes de Pierre Bergounioux me laissent pantois. Mille pages de météo aquarellisée, de maux divers et avariés, de lectures minéralo-entomologiques, d'arides trajets en RER, de Noëls obligatoires, de santés déclinantes et déclinées, de papillons percés, d'aubes pâles, de nuages fuligineux, d'enfants fiévreux ou turbulents ou insuffisamment studieux en latin, de pages écrites mot à mot dans l'arrachée des lignes, d'affects pénombreux, de proches amoindris, de scarabées cueillis aux noms inéluctablement subtils, de cours donnés dans l'anéantissement et la fatigue, de désolation devant la page, d'infirmité devant l'acte, d'abnégation devant la joie. Certes, tout ça est ciselé, mais ô combien écrit depuis un siècle où le jabot tenait lieu de glotte. Nulle complaisance si ce n'est celle de la plume comprenant la petite douleur du volatile à laquelle elle fut naguère arrachée. Actes des actes ténus, traces du temps qui (faute de mieux, de pire) passe, les pages racontent la pénibilité de lire (des livres achetés à la Fnac), quand tout, dans le quotidien, semble conspirer à fermer la perspective. Comme écrit par un vivant qui se sait ou se croit mort au monde, à l'écart du sensuel comme d'un trou où ne jamais tomber, encloisonné dans une écriture pétrie du passage obsessionnel des saisons, ces carnets où enregistrer le quotidien succombent à leur modeste défi: dire le jour, sa fragmentation en déplacements, retours, fuites impossibles. Et puis ce goût naphtaliné pour la sensation pesée, cet artifice sucé du mot picoré, cette aventure de la langue bornée aux trébuchements du dactylogramme — quel sous-martyrat souhaité et ouvragé est-il, là, voulu? Combien manquent les pépites de réflexion, qui, sans doute, seraient trop luisantes pour le lecteur tétanisé. Ennemi de l'opinion, de l'avis, confit dans un ressenti qu'il craint friable, Bergounioux, qui sait pourtant décrire un char russe comme s'il l'avait craché du cerveau du temps, ou narrer le cockpit d'un B-17G comme s'il était la vibration de l'air mortel même, semble confondre la sincère litanie des faits épuisés et épuisants avec leur ombre portée sur le calendrier du vain. S'est-il enduit assez de l'ennui des heures pour croire qu'écrire au jour le jour n'est qu'interdire au jouir de briller autrement que dans le trépas d'une phalène (si j'ose dire) ? On l'aimerait soudain débraillé, attablé avec Michon, devant une pinte de joie. Même funèbre.
Est-il bien raisonnable de souhaiter qu'il en aille autrement?
RépondreSupprimerSur Sitaudis, vous trouverez une citation qui concerne Yves Bonnefoy, mais qui s'appliquerait bien à votre texte sur Bergounioux : "La voix d'outre-tombe de Bonnefoy est un peu ridicule tant qu'il est vivant."
RépondreSupprimerIls restent des complices inévitables.
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