mercredi 14 juin 2023

Les faits, rien que l'effet des faits


Dimanche soir:
je cherche un film à voir su la plateforme Mubi et tombe, parmi les propositions du jour, sur Goodtime, un film des frères Safdie, avec Robert Pattinson dans le rôle titre. Je ne connais pas ces réalisateurs. Avec Marion, on regarde le film.

Lundi soir: De passage à Paris, je dîne avec Arnaud H. Je lui parle du film. Il me conseille de regarder, des mêmes réalisateurs, Uncut Gems, disponible sur Netflix. Je lui dis que je le regarderai demain, une fois rentré à Bar.

Mardi matin: Je commence à lire Stella Maris, de Cormac McCarthy. C'est bizarre, car depuis deux-trois ans je ne lis plus de fictions (hormis les textes envoyés à Inculte et quelques classiques); j'ai le livre de McCarthy depuis plus de trois mois, je l'ai rapporté de Paris et ne l'ai pas encore intégré à mes rayonnages. Mais je vois qu'il s'agit d'un dialogue, pas juste d'une narration. Je commence à le lire.

Mardi midi: Je parle à Marion de Uncut Gems, qu'on pourra regarder le soir même. On google les deux frères Safdie. Je m'aperçois qu'un des deux frères joue dans le prochain film de Nolan, Oppenheimer, qui n'est pas encore sorti. Je reprends ma lecture de Stella Maris. Il y est question d'Oppenheimer, du projet Manhattan. Je m'aperçois que le film de Nolan est adapté d'une bio qui vient de paraître au cherche midi. Je la demande à mon attachée de presse – le sujet m'intéresse, en partie parce que j'ai écrit sur cette explosion dans un roman intitulé CosmoZ. L'après-midi, je travaille à une traduction, l'histoire de six astronautes en orbite autour de la Terre; je tombe sur des allusions à la bombe atomique, au projet Manhattan.

Mardi soir: On regarde Uncut Gems.

Mercredi matin: Avant de travailler sur ma traduction en cours, je consulte comme d'habitude le fil des actualités. Cormac McCarthy est mort. Il est mort la veille.

Stella Maris. Etoile de mer. Etoile de ciel. Astronautes. Catastrophes. Champignon atomique dans le ciel. Connections. Hasards. Fin.

jeudi 8 juin 2023

La querelle des caciques et des classiques, ou la flemme du cafard


L’émission d’Augustin Trapenard sur les classiques a été largement commentée. Il faut dire qu’elle prêtait le flanc aux critiques, voire aux quolibets ou à l’indignation. Qu’a-t-on vu et entendu ? Un exercice virulent et bon enfant, consistant à descendre en flèche des livres appartenant au panthéon des lettres, sans trop s’embarrasser de terminologie critique. C’était censé être assez décomplexant : ne pas se laisser intimider par des textes classiques, canonisés. En soi, l’exercice n’est pas inintéressant, de par son irrévérence assumée, sa drôlerie possible. On peut bien sûr trouver chiant La Métamorphose ou Le Rouge et le Noir. Naguère, rappelons-le, un président muni d’un bracelet électronique taclait La princesse de Clèves et des élèves passant le BAC se déchaînaient contre Sylvie Germain sur les réseaux – comique pas garanti du tout. Mais ici, dans cette émission, ceux et celles qui tapaient sur de supposées grandes têtes molles étaient des écrivains, invités dans une "prestigieuse" émission littéraire. Un dîner de têtes, mais façon grande bouffe.

Certes, on n’attend pas d’un écrivain qu’il soit un critique littéraire d’exception, mais il a néanmoins le droit (le devoir ?) de recourir aux quelques outils critiques que lui a fournis, bon an mal an, son activité. On peut être léger et profond ; drôle et pertinent; de mauvaise foi et intéressant. C’est sans doute assez jouissif de décréter que La Métamorphose est l’histoire d’un boulet qui a la flemme d’aller bosser, mais ça le serait surtout si la personne balançant cette saillie était spécialisée dans la stand-up comédie et jouait du second degré. Or là, rien de tel : les digues avaient rompu, tout le monde se lâchait. Et on sentait bien que, derrière la possible sincérité des propos, se déployait non pas seulement un goût-de-la-provo mais un petit plaisir complaisant, du genre : Voyez, je suis écrivain, mais je suis comme vous, alors ne vous laissez pas impressionner par des classiques.

Etrange message : comme si les « classiques » étaient la Loi et que leur tomber dessus vous changeait en iconoclaste salutaire. Comme si le fameux « ressenti » niveau CP suffisait à renvoyer dans l’ombre la complexité littéraire. Un cafard ? Mouais : selon Besson, une métaphore à deux balles d'un type qui nous prend pour des débiles. Etait-ce, outre que pathétique, démagogique dans l’intention ? Du genre : vous allez m’aimer (et aimer mes livres) parce que je ne marche pas sur des œufs, moi, je tords le cou à tous ces connards, pardon, ces canards prétentieux. On ne sait pas trop. Ce déballage de frondes à l’emporte-pièce était essentiellement gênant, dans la mesure où on ne voyait pas trop quel était le message véhiculé, hormis le charme suranné d’un déboutonnage de fin de banquet. Mais ça riait beaucoup, ça gaussait – même si on sentait une petite gêne flotter par moments, comme si certains invités se rendaient compte que quelque chose leur échappait: leur dignité ? leur lucidité ? Sûrement pas leur lectorat, en tout cas. On les sentait vaguement embarrassés (ou bizarrement réjouis) par cette complicité potache dans la raillerie, au cours de laquelle la pensée, cette contrainte, se faisait la malle.

L’ennui, c’est que ce vain déluge de débinages ineptes, loin de briser le plafond de verre qui séparerait le lecteur complexé de l’œuvre hautaine, a tout de suite donné du grain à moudre, et que certains – je pense à un article paru dans Marianne – y ont vu une nouvelle percée de ce qu’ils estiment être LA menace : le wokisme. Preuve en est cette conclusion de l’article consacré par Marianne à l’émission : « Réjouissons-nous : bientôt, on n’aura même plus besoin d’assauts de cancel culture pour faire disparaître le ‘crime de pensée’, des émissions comme celles-ci dissuaderont tout le monde de s’écarter du droit chemin. »

Etrange paradoxe : une parole se présentant comme libre et décomplexée (mais se lâchant dans un bashing goguenard et gratuit) se voit rattachée au « grand danger » de la cancel culture, cet épouvantail agité par toute une frange réactionnaire. Où l’on voit que la bêtise, par un effet magnético-politique assez basique, attire systématiquement la bêtise – parce que, hein, franchement, les anti-woke n’en ont rien à battre de la littérature, soyons sérieux, et jamais le soldat Naulleau ne la sauvera de quoi que ce soit.

D’où vient le problème, alors ? De Besson ou de Kafka ? De Stendhal ou de Faïza Guène ? De la parole à la télévision ou du statut d’écrivain ? De la société du spectacle ? D'une façon d'apostropher les écrivains? Comme si des auteurs respectés (je veux dire : qui se vendent, tous étant déjà primés) s’étaient dit : nous aussi on peut et on aime casser nos jouets. Nous aussi on a le droit de se défouler. Voilà le mot que je cherchais depuis le début : défoulement. Au sens de : « Libération des tensions intérieures, des interdits ; attitude ou comportement libre, sans culpabilité ni retenue. » Une question se pose alors : quelles sont ces tensions intérieures que ces auteurs souhaitaient libérer ? Voulaient-ils paraître drôles, simples, abordables, de crainte qu’on les croie sinistres, complexes, distants ? Pourquoi ont-ils confondu paraître et envoyer paître? Les goûts et les couleurs pour seul étendard critique? Aïe.

Le fait est qu’en eux la mer n’était guère gelée et qu’il n’a pas été nécessaire de brandir la hache de la littérature pour la briser : un seul claquement de doigt cathodique a suffi à les faire clapoter dans le bouillon de la culture médiatique.

Critique de l'hypnose impure (épisode 5)


Critique de l'hypnose impure (épisode 5)

1.7 Il existe toutes sortes d'hypnoses. Il y a l'être aimé, l'être désiré, le texte invisible, la main aux mille doigts, le requin lascif, la rose qui saigne, le clitopleure, les langues sottes, l'instant fragile, le mur du danger, la lettre pliée, le sel de corps, le sourire minéral, la série éteinte, etc. Les conditions d'exécution varient selon la masse mentale du sujet. Trop de chagrin peut causer une moindre résistance. Il est important de ne pas rompre le fil de la parole, car elle seule entretient l'illusion d'un pacte avec le réel. Il faut imaginer des funérailles inversées, la terre qui monte, le corps qui repousse – c'est un coup à prendre.

2.7 Et ils en revinrent aux bonnes vieilles méthodes éprouvées, le LSD largué dans le verre de Cointreau, le stylo hypodermique à vertu paralysante, la prostituée chapardeuse, le suicide maquillé aux longs cils… Le communisme peut être vaincu avec des épingles à nourrice parfumées au curare. L'hypnose, c'était une bonne idée, ça oui, mais on a surestimé les bonnes volontés et les mauvaises fois. Changer son fusil d'épaule, c'est notre devise. On s'adapte, puisque le monde rechigne à le faire tout seul.

mercredi 7 juin 2023

Critique de l'hypnose impure (épisode 4)


Critique de l'hypnose impure (épisode 4)


2.5 Très vite, la tentation d'envoyer des agents hypnotisés se heurta à un obstacle potentiel: sans doute ces derniers seraient-ils guettés par un autre hypnotiseur, tout aussi compétent. Allait-on assister à des contre-hypnoses, des contre-expertises psychiques? La question éthique, elle, avait entre-temps été balayée: "Cette histoire de blocage psychique, c'est du flan", dixit Paul Gaynor, chef du SRS. On touchait au but, au commencement, à la spirale.

1.6 Le plus simple serait que vous vous considériez comme hébergeant à votre insu un ennemi intérieur. Soyez vigilant, soyez CIA. De sujet devenez objet. Testez sur vous ce que vous n'aimeriez pas tester sur autrui. Hypnotisez-vous vous-même en vous auto-persuadant qu'il en sortira quelque chose, voire quelqu'un. Sabotez en vous le saboteur. Ne vous épargnez aucun répit. Sondez jusqu'à ce coffre-fort qu'on appelle "âme" et détruisez les dernières preuves de votre libre-arbitre.

2.6 Après quelques tentatives assez catastrophiques, la CIA abandonna la piste hypnotique pour se concentrer sur un nouveau domaine: la télépathie. Il y a eu des problèmes, reconnut un agent anonyme. On s'est mis à hypnotiser à tout-va, et au bout d'un moment, faute de suivi, on ne savait plus qui était hypnotisé et qui ne l'était pas. Certains agents hypnotisés ont dû hypnotiser des agents déjà hypnotisés, ou quelque chose dans ce genre, bref, une certaine confusion régnait, et on entendait à tout moment des claquements de doigts dans les couloirs, ça induisait des changements de comportements aussi soudains qu'incompréhensibles. A la fois, on s'est bien marrés.

mardi 6 juin 2023

Critique de l'hypnose impure (épisode 3)

 


Critique de l'hypnose impure (épisode 3)


1. 4 Parfois, tu regardes un visage, si possible un visage en peau, pas un visage en électricité statique caché derrière un écran. Puis tu regardes le regard du visage. Puis tu regardes l'idée de regard qui déambule entre le visage et toi. Puis l'ampoule claque sans faire de bruit et tu te retrouves dans la dernière dimension, celle où ta volonté, lasse de se faire passer pour un moniteur de ski compétent, épouse la neige, toute la neige.

2.4 George Estabrooks! (Claquement des doigts.) Présent. George Estabrooks explique aux extraterrestres du Pentagone que deux cents agents japonais versés dans l'hypnotisme pourraient à eux seuls renverser la planète America. Vous plaisantez! s'esclaffe sérieusement un gradé. Non, répond, impavide, George. Vous voulez prendre le risque? (La CIA préfère faire courir les risques que les prendre, à croire que les risques sont à ses yeux d'amusants lévriers piégés.) Une cellule est mise sur pied, qui s'avance, cahin-caha, vers le chaos.

1.5 Un état entre deux états, telle est l'hypnose, et ainsi exprimée la chose paraît, osons le mot, politique, au sens quasi clandestin de la chose. Un état sans réel dirigeant (le cerveau en vacance), à la population distraite (allez à gauche, allez à droite), aux lois flexibles (vous savez voler /ou/ vous êtes une pierre) – mais surtout un état situé à égale distance de la veille et du sommeil, et qui peut donc emprunter à l'une sa rigueur et à l'autre sa nonchalance crispée.

lundi 5 juin 2023

Critique de l'hypnose impure (épisode 2)


 Critique de l'hypnose impure (épisode 2)


2.2 Stanley Lowell, le directeur de recherche de l'OSS – l'ancêtre de la CIA – avait quant à lui envisagé d'hypnotiser un prisonnier de guerre allemand, appelons-le Hermann, de le parachuter à Berlin ou à Berchtesgaden, où il n'aurait plus qu'à assassiner Hitler. Apparemment ça n'a pas marché. Ou alors ledit prisonnier de guerre a réussi à hypnotiser le monde entier sauf Hitler, mais si tel fut le cas, eh bien, mein Freund, nous n'en saurons jamais rien.

1.3 Certains signes ne trompent pas: le battement des paupières s'intensifie, la déglutition devient laborieuse, la mémoire hyperventile. Vous pouvez également recourir à la technique dite de la confusion, à savoir, par exemple, demander au sujet de convoquer dans son esprit plusieurs images à une cadence de plus en plus soutenue, afin de causer une sorte de surchauffe, mais une surchauffe tiède, pas brûlante. Le petit feu, voilà ce qui fait notre affaire.

2.3 En toutes choses, un hic (et aussi un nunc): il est apparemment impossible d'obliger une personne à commettre sous hypnose un acte qu'elle réprouve moralement. Eh oui. Si l'assassin potentiel d'Hitler déteste Hitler, alors pas la peine de l'hypnotiser. L'OSS abandonna vite l'idée de recourir au conditionnement psychique de ses agents. La CIA reprit tout à zéro. Et remit en marche la spirale à l'intérieur de ce zéro. Rechargez. Visez.

vendredi 2 juin 2023

Critique de l'hynose impure (épisode 1)


Critique de l'hypnose impure / épisode 1

1.1 Voyez comme la spirale tourne, toujours dans le même sens, peut-être celui de l'histoire, voyez sans voir, au centre de toutes les aspirations, ce mouvement vertigineux, l'eau fascinée par la bonde de l'œil, le cerveau qui se vide avec ce glouglou particulier qui est comme la chansonnette de l'abdication.

2. 1. "Je peux hypnotiser n'importe quelle personne, à son insu ou non, afin qu'elle trahisse les Etats-Unis": cette phrase, prononcée par un professeur de psychologie de la Colgate University en 1942 – un certain George Estabrooks –, ne tomba pas dans l'oreille d'un sourd, elle s'insinua même directement dans le siphon auditif du Département de la Guerre américain. Zou, George, au Pentagone! Je crois que des messieurs veulent te poser quelques questions. Parce que la Sixième Colonne, l'ennemi intérieur, tout ça, hein, c'est du sérieux.

1.2. La sensation des yeux. L'altération de la conscience. La sensation des yeux. L'altération de la conscience. La sensation des yeux. L'altération de la conscience. La sensation des yeux. L'altération de la conscience. La sensation des yeux. L'altération de la conscience.


(à suivre…)