mercredi 3 mai 2023

Jack-Alain Léger: son nom était lésion

Qu’on aime ou non l’homme (mais il était légion), qu’on apprécie ou non son œuvre (mais elle est protéiforme), et je dirai même qu’on l’ait lu ou non (ce dernier cas étant le mien), difficile de ne pas succomber au portrait à la Dorian Gray que lui dédie Jean Azarel. Est-ce parce que Daniel Théron, dit Jack-Alain Léger, dit Paul Smaïl, dit et alii. a vouvoyé la mort toute sa vie pour finir par la tutoyer franchement ? Est-ce parce que son existence fut déchirée-déchirante, et lui agacé-agaçant ? Le fait est qu’Azarel sait nous faire côtoyer cet ogre fissuré avec une énergie contagieuse, ne le lâchant pas d’une semelle (que JAL a tantôt de vent, tantôt de plomb), n’occultant aucune des parties molles ou grasses ou veules de l’homme, animé toutefois par une forme d’attachement à toute épreuve, ne lui érigeant pas de statue, ne lui faisant pas de cadeau, mais le saisissant dans le mouvement même de ses explosives contradictions, de ses rutilantes impasses, et guettant lucidement dans les recoins de ses livres les marques laissées par son indécrottable souffrance et sa touchante mégalomanie.

Mytho, menteur, hâbleur, noceur, mais surtout "horrible travailleur", offrant son amitié aussi promptement qu’il la piétinait, grattant des pages et des pages nocturnes pour être capable d’affronter le jour mesquin. L’homme est fascinant, à la fois fumeux et fulminant selon l’angle depuis lequel on le considère. Difficile de savoir d’où venait cette faille qui a zébré toute sa vie. Bipolaire de formation, torturé par appétence, il passe de la fender à l’underwood, et quand il croit lancer des foudres, c’est en paratonnerre qu’il se réveille. Azarel le veut vivant et c’est vivant qu’il le ressuscite, en l’écrivant par capillarité, en le bousculant dans ses vives tranchées, ni amer ni donneur de leçon. Un geste d'amitié, assez appuyé pour qu'on ne le prenne pas pour une simple caresse ou un hug fugace.

Le livre est aussi un modèle de biographie impertinente, assez punk-rock parfois, quoique très pertinent eu égard son sujet volatile. L’histoire d’une chute à reculons, d’un chemin de croix défoncé (god is drug), l'odyssée vitriolée d’un cabossé volontaire enfouissant son génie et sa hargne dans des centaines et des centaines de pages, propulsé par un inexorable besoin d’admiration et terrassé par l’impitoyable jugement de ses contemporains. Défenestré, Jack-Alain Léger : à force d’hurler dans le vide. On dit parfois qu’un individu qu’il est haut en couleurs. Celui dont Jean Azarel a fait la bousculante biographie était assurément haut en douleurs. Reste ses livres, et nous quelque part dans leur rayon. 

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Jean Azarel, Vous direz que je suis tombé » (Vies et morts de Jack-Alain Léger), éditions Séguier, 320 p., 23 euros.

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