Merci tout d'abord à Laurent Albarracin, éditeur du Cadran Ligné, pour cette belle découverte: Jean-Pierre Le Goff (1942-2012) dont est publié ce mois-ci un volume aux mille facettes qu'éblouit une étonnante cohérence: Le vent dans les arbres – près de 400 pages d'une prose attentive aux choses et à leur réfraction dans la langue. Le Goff tourne autour des choses, les retourne, les traverse, s'y pose, s'y dépose: avec l'humilité de celui qui sait le réel à la fois opaque et transparent.
Ces choses n'en sont parfois pas: je veux dire par là que les sujets qu'aborde (et parfois saborde) Le Goff peuvent être aussi bien le pli d'une jupe qu'un moment d'inattention, le mystère de la gomme ou le craquement d'une armoire.
A chaque fois, il s'agit d'appréhender, mais sans déformer, sans trop arracher le sujet à son mutique terreau. Comment parler du trou ? Comment le décrire sans y choir?
"Le trou est du dehors dedans. La pensée est un filtre qui laisse échapper des idées. En cherchant à exprimer le trou je le sépare d'éléments qui lui sont intrinsèques. Comme la passoire […] ne retient qu'une partie des substances, mon esprit ne capte que les significations du trou bien trop grosses pour passer dans les mailles du filet."
Mais cet aveu d'impuissance relative face à la chose en soi – qu'elle soit concrète ou vouée au vide – n'empêche par Le Goff de se coller à ses basques. Avec un acharnement en apparence désinvolte, il ne lâche rien : ni la bulle de savon, ni la méduse, ni l'encoche sur le bâton. Décrire, ici, n'est pas juste mettre à plat ou suivre des contours. Il s'agit d'aider la chose à décanter dans la langue en lui faisant subir diverses opérations qu'on pourrait dire chimiques. Frotter le trou contre le creux, afin de comprendre leur différence. Vérifier si le tas accumule ou annule. Définir quel fantôme d'elle-même produit la méduse.
Le texte intitulé "Toute la gomme" est en soi un véritable art poétique – "la gomme inocule l'amnésie au texte", écrit Le Goff qui, au prix de délicates contorsions, parvient à inscrire le destin de la gomme dans celui de l''écriture, non sans malice, bien sûr, et la malice est souvent chez l'auteur une antidote au sérieux qu'implique sa démarche.
Le vent dans les arbres: l'impalpable lance un défi à l'écriture, qui multiplie les formules (magiques) pour éclairer l'invisible:
"L'arbre est membre du vent. Ses mouvements en sont les manifestations visibles. Sans l'obstacle flexible, l'œil ignorerait le vent."
Voici un recueil qu'il faudrait mettre entre toutes mains susceptibles d'écrire. Modeste dans son approche bien qu'audacieux dans le choix de ses motifs, Le vent dans les arbres est une incroyable boîte à outils qui, sous couvert d'études de cas, met à nu (et en jeu) le travail de l'écriture poétique: faire de l'apparemment indicible un événement dans la langue.
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Jean-Pierre Le Goff, Le Vent dans les arbres et autres textes, édition établie et postfacée par Sylvain Tanquerel, Le Cadran ligné, 2023.
Magnifique Le Goff, à découvrir. Lu ici http://hublots2.blogspot.com/2014/11/les-coquillages-de-jean-pierre-le-goff.html et là http://hublots2.blogspot.com/2021/10/moi-reduit-en-poussiere.html
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