Tout le monde le sait: Videndi aime les livres. C'est la raison principale pour laquelle Videndi a racheté le groupe d'édition Editis à Planeta, lequel s'était spécialisé dans les dettes. Une cinquantaine de maisons d'éditions pour 900 millions d'euros, franchement, c'est donné. Vous l'avez compris: il s'agit d'une histoire d'amour. D'ailleurs, maintenant, quand Editis rachète une maison d'édition, c'est par amour. Mais surtout, ce n'est pas le grand groupe qui rachète la petite maison d'édition, c'est la maison d'édition qui fait une fleur en se vendant. Par exemple, les Editions Héloïse d'Ormesson, rachetées cette semaine par le groupe Editis – comme le dit Pierre Conte, directeur général d'Editis: "[La décision des éditions Héloïse d'Ormesson] de nous rejoindre plus formellement est un honneur pour nous." Tout ça est rassurant, donc. On ne sauve pas les meubles en se vendant, on fait l'honneur d'être racheté au plus offrant. Le but? Il est noble, là aussi: "renforcer [le] potentiel de création littéraire." Ouf. On respire. On croyait distinguer une volonté hégémonique alors qu'en fait tout ce brassage d'euros est au service de la "création littéraire". Et qu'on n'aille pas nous rappeler que Vincent Bolloré, à la tête de Vivendi, a été mis en examen en avril dernier pour corruption d'argent public étranger, complicité d'abus de confiance et faux et usage de faux, et qu'il risque dix ans de prison et un million d'euros d'amende. Non, il s'agit d'amour de la création littéraire, ici.
Parallèlement, une petite formalité s'est mise en place dans tous les grands groupes d'édition. Ça s'appelle le "compte d'exploitation prévisionnel" et ça consiste à demander à l'éditeur qui envisage d'acquérir les droits d'un livre étranger ou de publier un auteur français combien il compte en vendre, afin de calculer, par rapport à ce qu'il compte dépenser, si ça vaut vraiment le coup, par exemple, de claquer 2000 euros d'à-valoir pour un tocard qui ne vendra sûrement que 600 exemplaires après qu'on s'est enquiquiné à en mettre 900 exemplaires en place. Désormais, avant de prendre une décision, on regarde de très près les chiffres de vente de l'auteur en question: son merveilleux talent est-il rentable? Résultat: les éditeurs de littérature qui œuvrent au sein des grands groupes ont beau avoir des coups de foudre pour des manuscrits, français ou étrangers, ils ne peuvent les faire publier s'ils ne réussissent pas convaincre le service financier de la boîte que ces livres vont se vendre comme des petits pains et engranger des bénéfices. Et si vous dites que vous allez en vendre 25 000 et que vous n'en vendez que 24 999, gare à vous: c'est que vous ne savez pas calculer…
Je résume. D'un côté, les vrais amoureux des livres (Bolloré, Videndi, Editis, etc.); de l'autre, des hommes et des femmes qui savent lire mais qui hélas sont incapables de prévoir deux ans à l'avance les résultats de vente de l'ouvrage qu'ils ou elles ont aimé. Je crois qu'il est temps de virer ces doux rêveurs et de laisser les financiers s'élancer eux-mêmes en quêtes de pépites littéraires. Eux seuls ont le don de clairvoyance. Eux seuls sauront dire quelle création littéraire a du prix. Si ça se trouve, nous leur ferons, en plus, un honneur en les laissant nous virer.
"Corruption d'argent public étranger" j'aime beaucoup. Comment on corrompt de l'argent ? On lui donne des humains ?
RépondreSupprimerSimple lapsus clavis de la part du gars Claro: il s'agit de lire: corruption d'agent public étranger, et rapport à la longue liste de concessions portuaires accordée(s) au groupe Bolloré en Afrique de l'Ouest, je peux te garantir que les "agents publics étrangers corrompus" il y en a une chiée - et comme me le rappelait jadis feu l'ami Marcus: tu sais, une chiée, ça fait vraiment beaucoup.
Supprimer