Quel vent corsaire pousse les livres à notre porte? Il en passe tant, des vents gris et des livres, et ils sont si nombreux à chercher une ouverture, une fêlure, susceptible de les échouer là où seul le hasard sait renouveler ses lecteurs. J'ai reçu il y a peu une lettre d'un écrivain que je connais depuis que la lurette est belle – Jean-Philippe Blondel, pour ne pas le nommer –, accompagné d'un recueil de nouvelles, qu'il m'incitait à lire, un recueil dont il ne connaissait pas l'auteur, mais qu'il avait lues, des nouvelles disait-il d'une "vraie âpreté", et j'ai senti dans sa démarche cette colère qui nous prend quand l'injustice s'en mêle. En bref, le livre qu'il m'envoyait avait besoin de nous. Chercher des relais. Provoquer des échos. J'ai donc lu Animale, de Laure Anders.
C'est un recueil de nouvelles, certes, mais le terme "recueil" de rend pas compte de la cruelle mosaïque ici assemblée. Des vies, sectionnées, lancées dans la nuit, diverses, anomales, piétinées dans la marge mais ouvertes au large, tantôt réduites à leur destin de cave, tantôt fouettées par le hasard. Des filles, des garçons, des fils, des filles, que tout penche, abaisse, accule, colle au mur du fond de la page. Et donc, aussi, en arrière-cauchemar, des pères, des mères. Une affaire d'héritage, de legs, ce qu'on laisse, ce qu'on lâche. Fratries, diasporas. Des solitudes, des rêves – mais surtout des "vies animales", où apprendre à ramper, mordre, de l'enfance des fermes aux night-club SM, du no man's land des parkings aux fermes de la Mayenne.
Laure Anders n'a pas peur des douleurs, et semble en connaître les roides couleurs, les angles rêches. Elle prend une vie, lui tord les boyaux, lui donne ses chances puis la confie à la fluidité de son écriture qui pourtant n'épargne rien et surtout pas le lecteur. Des orphelins d'eux-mêmes, des laissés pour contes de fée impossibles, des sexes qui n'en peuvent plus mais en veulent encore. Une caissière de supermarché hésitant entre l'Hadès et rien. Camille sommée en pleine nuit par son père d'aller flinguer un renard ("Qui je suis, je n'en ai pas la moindre idée et je redoute que mon père le découvre avant moi."). Une robe qu'une femme prend pour révélateur chimique. Une fille accro à sa vie possiblement utérine ("Les drogues ont été mon lait maternel, et mon père, mon premier dealer."). Une Ford qui remonte le courant des séparations, "navette crashée sur une planète hostile". Même des lutteuses mexicaines avec des griffes en or dans la boue de leur généreux désespoir. Des stands de tir, des préludes de Bach. De tout cela, ce livre s'enfle, et offre.
Il y a la drogue, il y a l'alcool, la dépendance, l'abandon – et l'insistance: à vivre, racler la terre, mordre les chairs, lâcher le père. Comme dans "François" – nouvelle qui brûle particulièrement, et qui suit une vie depuis l'enfance qui "transperce l'eau verte", jusqu'à l'apprentissage de la transmission ("elle se souviendra de son père, acharné, enfoui jusqu'à la taille") en passant par le grossier tamis des guerres:
"Les garçons sont de la chair pour l'arme blanche et la maladie, les garçons tombent sous les balles ou sont découpés par les pales d'un hélicoptère et recousus ensuite pour le rapatriement du corps, commet cet appelé de Picardie dont le visage reconstitué avait la perfection cireuse d'un masque de gisant."
Des gisant? Laure Anders n'en veut pas. Elle a harnaché corps et âmes, attelé les pulsions, brassé les fratries et touillé les instincts. Ses textes ne se heurtent pas, se frottent parfois. Il y a là, comme chez Kate Braverman, des constellations brûlées, des trajectoires striées, et de la phrase qui saigne, signe et se souvient.
(Merci Jean-Phi.)
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Laure Anders, Animale, éd. Buchet-Chastel, 16 €
Pas disponible en numérique. Non plus que le dernier Marc Graciano (alors que Liberté dans la montagne l'était). Ce ne devrait pas être un frein, oui ; mais de fait, c'en est un, compte tenu du temps, ténu, que je trouve à consacrer à la lecture et la facilité de savoir le texte là, dans la poche.
RépondreSupprimerAlors lisez Marc Levy - C'est disponible en version digitale ! Ne vous rendez-vous pas compte que ce que vous demandez, c'est un standard industriel qui est difficile d'acces pour la litterature d'auterus prometteurs, mais inconnus ?
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