C’est l’histoire de la mort de
Virgile et c’est aussi celle de sa naissance en américain. C’est surtout
l’histoire d’une jeune femme condamnée à la dévotion. D’origine allemande, née
dans l’Ohio, Jean Starr Untermeyer ne vit que pour la musique et rêve de chanter
des lieds. Mais c’est la poésie qui la rattrape, suite à la fréquentation de
quelques écrivains dont Robert Frost. Tout va très vite, alors.
Elle épouse un jeune écrivain, Louis Untermeyer, futur poète lauréat de la bibliothèque du Congrès, qui l’aide à publier ses premiers poèmes. Le couple divorce quelque temps plus tard (mais au Mexique), Louis se remarie, puis quitte sa seconde épouse et retourne auprès de Jean. Ils adoptent deux enfants, mais la réconciliation est de courte durée ; nouveau divorce à la mexicaine, re-mariage pour Louis, qui divorce bientôt (à la mexicaine) pour se marier une quatrième fois, mais sa troisième épouse ayant remis en cause leur divorce, Jean fait de même, invalidant du coup toutes ses unions subséquentes. Vous suivez ? Louis, lui, plus trop, et le couple finit par divorcer à l’américaine en 1951…
Elle épouse un jeune écrivain, Louis Untermeyer, futur poète lauréat de la bibliothèque du Congrès, qui l’aide à publier ses premiers poèmes. Le couple divorce quelque temps plus tard (mais au Mexique), Louis se remarie, puis quitte sa seconde épouse et retourne auprès de Jean. Ils adoptent deux enfants, mais la réconciliation est de courte durée ; nouveau divorce à la mexicaine, re-mariage pour Louis, qui divorce bientôt (à la mexicaine) pour se marier une quatrième fois, mais sa troisième épouse ayant remis en cause leur divorce, Jean fait de même, invalidant du coup toutes ses unions subséquentes. Vous suivez ? Louis, lui, plus trop, et le couple finit par divorcer à l’américaine en 1951…
Mais laissons là ces tribulations
maritales et retrouvons Jean Starr. Nous sommes en 1939 et Jean travaille à
Yaddo sur un roman qui n’avance pas. Un jour, elle passe devant une maison en
apparence abandonnée. Intriguée, elle explore l’endroit qui semble
hanté, y revient souvent. Elle entend un jour une voix gémissante monter des profondeurs de la maison, une voix qui parle en allemand, une voix qui dit :
« Ich habe mein Schreibmachine verloren ! Wie soll ich schreiben ohne meine Schreibmachine ? »
C’est Hermann Broch qui se
lamente parce qu’il a perdu sa machine à écrire. Jean retrouve la machine et
commence alors une éprouvante aventure. Broch lui demande de traduire le roman
qu’il vient de finir, celui qu’il a commencé en 1938 alors qu'il était en camp de concentration : La Mort de Virgile.
Broch fait faire des essais à Jean (Hölderlin, Goethe) puis la collaboration se
met en branle. Malgré le dévouement de Jean, qui sue sangs et eaux sur ce
travail (gratuitement…), Broch demande à une amie à lui, Marianne Schlesinger, de
produire une seconde version dont il se servira pour contrôler la justesse de
la traduction de Jean. Cette dernière encaisse le camouflet comme elle peut. Le génie de Broch n'a pas de prix. Elle va même jusqu'à lui recoudre ses pantalons…
Finalement, la traduction de Jean
Starr Untermeyer sort en 1945, ainsi que la version allemande un peu plus tard,
mais seulement aux Etats-Unis. Il faudra attendre 1958 pour que l’original
paraisse en Allemagne. La Mort de Virgile
est une naissance retardée : né en allemand, réécrit en anglais sous la férule de
Broch, il accède à sa première existence dans une autre langue, au point que, précédant l'original, on peut dire que c'est la version qui fait foi, du moins dans la découverte du texte par les lecteurs.
Broch fut-il
reconnaissant envers Jean ? Il se contenta de décréter que c’est elle qui
devait lui être reconnaissante, pour avoir eu la chance de traduire un tel
livre. Jean Starr eut-elle alors l’impression d’avoir réalisé une « traduction
à la mexicaine » ? Si les traducteurs doivent vivre parfois dans l’ombre,
l’ombre réservée aux femmes traductrices, elle, est sans doute la plus sombre. Mais
dans l’ombre du génie de Broch brillera toujours la flamme têtue de Jean Starr,
qui ploya sans cesse sans jamais rompre — musique :
« Stee-blue and light, ruffled by a soft, scarcely perceptible cross-wind, the waves of the Adriatic streamed againts the impérial squadron… »
____________
Sources: ici et là
*against*
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