vendredi 3 octobre 2014

L'étoile de Broch: Jean Starr Untermeyer et la naissance de Virgile

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C’est l’histoire de la mort de Virgile et c’est aussi celle de sa naissance en américain. C’est surtout l’histoire d’une jeune femme condamnée à la dévotion. D’origine allemande, née dans l’Ohio, Jean Starr Untermeyer ne vit que pour la musique et rêve de chanter des lieds. Mais c’est la poésie qui la rattrape, suite à la fréquentation de quelques écrivains dont Robert Frost. Tout va très vite, alors.
Elle épouse un jeune écrivain, Louis Untermeyer, futur poète lauréat de la bibliothèque du Congrès, qui l’aide à publier ses premiers poèmes. Le couple divorce quelque temps plus tard (mais au Mexique), Louis se remarie, puis quitte sa seconde épouse et retourne auprès de Jean. Ils adoptent deux enfants, mais la réconciliation est de courte durée ; nouveau divorce à la mexicaine, re-mariage pour Louis, qui divorce bientôt (à la mexicaine) pour se marier une quatrième fois, mais sa troisième épouse ayant remis en cause leur divorce, Jean fait de même, invalidant du coup toutes ses unions subséquentes. Vous suivez ? Louis, lui, plus trop, et le couple finit par divorcer à l’américaine en 1951…
Mais laissons là ces tribulations maritales et retrouvons Jean Starr. Nous sommes en 1939 et Jean travaille à Yaddo sur un roman qui n’avance pas. Un jour, elle passe devant une maison en apparence abandonnée. Intriguée, elle explore l’endroit qui semble hanté, y revient souvent. Elle entend un jour une voix gémissante monter des profondeurs de la maison, une voix qui parle en allemand, une voix qui dit :
« Ich habe mein Schreibmachine verloren ! Wie soll ich schreiben ohne meine Schreibmachine ? »
C’est Hermann Broch qui se lamente parce qu’il a perdu sa machine à écrire. Jean retrouve la machine et commence alors une éprouvante aventure. Broch lui demande de traduire le roman qu’il vient de finir, celui qu’il a commencé en 1938 alors qu'il était en camp de concentration : La Mort de Virgile. Broch fait faire des essais à Jean (Hölderlin, Goethe) puis la collaboration se met en branle. Malgré le dévouement de Jean, qui sue sangs et eaux sur ce travail (gratuitement…), Broch demande à une amie à lui, Marianne Schlesinger, de produire une seconde version dont il se servira pour contrôler la justesse de la traduction de Jean. Cette dernière encaisse le camouflet comme elle peut. Le génie de Broch n'a pas de prix. Elle va même jusqu'à lui recoudre ses pantalons…
Finalement, la traduction de Jean Starr Untermeyer sort en 1945, ainsi que la version allemande un peu plus tard, mais seulement aux Etats-Unis. Il faudra attendre 1958 pour que l’original paraisse en Allemagne. La Mort de Virgile est une naissance retardée : né en allemand, réécrit en anglais sous la férule de Broch, il accède à sa première existence dans une autre langue, au point que, précédant l'original, on peut dire que c'est la version qui fait foi, du moins dans la découverte du texte par les lecteurs.
Broch fut-il reconnaissant envers Jean ? Il se contenta de décréter que c’est elle qui devait lui être reconnaissante, pour avoir eu la chance de traduire un tel livre. Jean Starr eut-elle alors l’impression d’avoir réalisé une « traduction à la mexicaine » ? Si les traducteurs doivent vivre parfois dans l’ombre, l’ombre réservée aux femmes traductrices, elle, est sans doute la plus sombre. Mais dans l’ombre du génie de Broch brillera toujours la flamme têtue de Jean Starr, qui ploya sans cesse sans jamais rompre — musique :
« Stee-blue and light, ruffled by a soft, scarcely perceptible cross-wind, the waves of the Adriatic streamed againts the impérial squadron… »

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Sources: ici et

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