lundi 22 juillet 2013

Lauth au volant, le bonheur au tournant

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Si les kilomètres étaient contés, ça serait une bonne ID. Grâce à Hubert Lauth et son beau bolide, Kilomètres conteurs, c'est chose faite.
Voici un livre qui aurait plu à Vialatte. Un livre qui s’est glissé dans la rentrée de janvier dernier sans faire d’embardée ni écraser la moindre plate-bande. Et continuera, n’en doutons pas, de négocier tranquillement les virages parmi ses confrères souvent moins bien carrossés. Il appartient à cette étrange tribu des livres dont le héros est inanimé (quoique…). C’est un genre à part, aussi hétéroclite que surprenant, et qui a le mérite de nous épargner d’absurdes intrigues et de navrantes psychologies. Le personnage principal de Kilomètres conteurs, premier roman d’Hubert Lauth, est un véhicule d’exception, puisqu’il s’agit de l’altière et endurante ID, sœur cadette de la DS, qui fit son apparition en 1956. Ici, donc, la phrase ronronne sous le capot de la page, le paysage change sous les yeux ébahis des phares, la suspension soupire d’aise et les roues tâtent de divers terrains.
Le voyage décrit et ressenti par l’ID de Lauth est certes géographique, mais aussi généalogique : toute une enfance à l’arrière d’une banquette, mais aussi dans le Tarn, et dans bien d’autres régions, à Paris, en Normandie, surtout dans la mémoire, qui est sensible, gustative, frisson. C’est un pèlerinage sensuel, à l’imagerie gourmande, qui sous des dehors de guide nomade, cherche à rendre tactiles, à la force des mots et des formules, les « zakouskis » du temps perdu, dans une France dite du Général, même si, en fond, passe et repasse l’ombre tutélaire d’un certain Jaurès.
L’ID, quant à elle, n’a pas son rétro dans sa poche, mais quand elle regarde une jolie fille s’engouffrer dans une bouche de métro, ça se passe ainsi dans l’habitacle ému :
« L’ID resta sur cette belle impression féminine qui vint se nicher dans la vitre côté passager, une forme de tirage argentique dont le verre Sécurit a le secret pour mettre en mémoire un souvenir. »
Hubert Lauth réussit sans dérapages ni tonneaux à réveiller l’authenticité du sensible et de la mémoire en recourant à un florilège d’images vibratiles, se jouant des mots comme un artisan parfumeur de fragrances. Par le truchement rutilant d’un voiture quasi présidentielle, mais qui sait se garer sous les platanes et emprunter les ruelles, d’une ID tout en suites et robinsonnades, l’auteur, en peintre du bitume comme du chemin caillouteux, nous rappelle que les émotions passées, afin de revenir nous hanter, se doivent de subir une minutieuse transformation, dont seule l’écriture a le secret. On ne ressuscite pas une voiture d’un coup de clignotant. Il faut savoir passer les vitesses, et Lauth le prouve à chaque paragraphe :
« Nouveau départ. L’ID  démarre. Elle se hisse, prend de la hauteur, quelques centimètres suffisent, et rejoint l’asphalte granuleux avec lequel elle tisse depuis peu une intimité kilométrique. Première, deuxième, troisième. Le changement de vitesse si fin, si féminin, chuinte dans le mouvement. Les platanes défilent et séquencent la vision de ce paysage de courbes et de vallons. On rentre. Sous la maison elle se glisse. Au garage. »
Et comme l’auteur est généreux, vous aurez droit en prime à la recette du boudin blanc d’autan (à ne pas confondre avec le vent d’autant). Bonne route !
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Hubert Lauth, Kilomètres conteurs, éd. Robert Laffont

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