jeudi 26 juillet 2012

La Baule: Bilan

On revient d'Ecrivains en bord de mer, le festival littéraire organisé de main de maître d'œuvre par Bernard et Brigitte Martin, qu'on remercie encore pour cette leçon de pertinence et d'équilibre. Tout avait pourtant commencé assez bizarrement, avec le discours d'une adjointe au mer qui regrettait que l'affiche choisi par les organisateurs donne des plages bauloises une image "misérabiliste" – on y voit non pas du sable mais des cailloux, avec en sus quelques mégots écrasés. Afin de remédier à cette bévue, l'adjointe, après nous avoir assuré qu'elle avait lu tous nos livres en diagonale – selon l'éprouvée méthode dite de la Tour de Pise, sans doute… –, a distribué des cendriers de plage à tout le monde. J'ai, hélas, oublié de rapporter mon cendrier plein à la mairie le jour de mon départ, et je présente mes excuses à l'adjointe en question, des excuses bien sûr en diagonale…
Une fois passé cette preuve que la politique est amie des arts mais que bon faut pas déconner, l'image prime sur le contenu…, une fois passé, donc, ce clinquant bémol, les rencontres, les lectures et les échanges ont pu se dérouler dans le sérieux, la bonne humeur et l'affluence. Car dans la Chapelle Sainte-Anne, il y a toujours du monde. Ce rendez-vous ne laisse pas indifférent. Certains prennent des notes, même. Il y a eu des moments mémorables, par exemple la prestation d'Yves Pagès, revenant sur son parcours d'écrivain avec une verve, une ironie et un talent oratoire qui ont secoué la salle de rires. Arno Bertina, quant à lui, a donné une lecture d'un texte en cours, en se demandant si le texte en question passait la rampe, et force a été de constater que c'était d'une beauté et d'une intelligence stupéfiante. Le débat qui a suivi, animé par un Alain Nicolas qui connaissait son Bertina sur le bout des ongles, fut lui aussi passionnant. Christos Chryssopoulos, le seul auteur étranger des rencontres, s'est révélé à tous égards passionnants, capable d'analyser et commenter son parcours d'écrivain avec une subtilité et une humilité assez épatantes. Mathias Enard, qui a profité de cette escale baulienne pour se faire une entorse, a régalé l'assistance avec des extraits de son nouveau livre, et a su faire résonner également les accents trépidants de la prose de Blaise Cendrars. On a pu écouter également Eric Arlix, Charles Robinson, Marie Cosnay, Jacques Séréna, Sylvie Gracia, bibi et quelques autres. On a eu également droit à une avant-première du film de Marion Laine, A cœur ouvert, grâce à la sympathie et à la classe de Tony Molière. Enard & Laine ont, après le film, débattu des problèmes inhérents à l'adaptation et ce fut un grand moment.
Mais tous ces moments, qu'on ne saurait rendre par les mots (on est écrivain, pas reporter), ont été filmés, grâce à la caméra de surveillance du ludion Joachim Bon, dont le sourire fut un des fils rouges de ces rencontres. Un grand merci également au libraire Gérard Lambert, qui a été obligé de nous écouter chaque jour pendant plusieurs heures. Et puis il y avait Thierry Guichard, dont la verve ne trouva pour seul rival que son rire tonitruant. Il a présenté des livres, des vins et des raisons de continuer à lire et boire, ce qui mérite quelques applaudissements. Ah, j'oubliais, il a été question à un moment d'un certain Kevin et d'une certaine Esther, au sort peu enviable, mais bon, c'est une autre histoire…
Entre les rencontres, ou avant, ou même et surtout après, les échanges ont pu continuer. Tout le monde se souvient ainsi de la mémorable partie de ping-pong entre Bernard Martin et l'auteur de Tous les diamants du ciel, dont le score, pour des raisons diplomatiques (et pour ne pas affliger le petit-fils de Bernard), restera secret (quoique jubilatoire). Enfin, on a pu se baigner et échapper de peu à une ribambelle de méduses. Tout ça s'est passé à La Baule, où la crise, bizarrement, semblait avoir oublié de sévir. Sauf sur l'affiche du festival, qui rappelait à juste raison que lire et écrire, c'est aussi parfois casser des cailloux, comme au bon vieux temps de Cayenne.

1 commentaire:

  1. (suite) Parler de littérature ou de photographie ? De La Baule, je suis revenue sans photographie, partie sans appareil photo mais revenue avec trois cartes postales en tête : l’une figurant un véhicule de CRS circulant de temps à autre le long de la plage. La liberté est surveillée subordonnée subrepticement à l’improbable. Soyons vigilants, restons désinvoltes. Patti Smith psalmodie lentement Guantanamera sans parler tout-à-fait de vacances à Guantanamo, ou serait-ce Claudine Galea ?

    Une deuxième carte postale, à travers un buisson touffu, met en scène deux enfants entre sept et onze ans et demi, dissimulés, pistolets en main, apostillant les passagers du réel, écrivains ou non, tous visés par le même filet coulant d’air et de lave, bave thermodynamique, deux enfants face à la réalité, armés d’un pistolet à eau sous la nuée solaire. Viser, choisir un point de vue et refuser les points de mire, rester armé. Time to aim your arrows at the sun. Entre blockhaus à Batz sur mer et bunker de l’écrivain atomisant l’anatomie du réel, une salle de cinéma a vu œuvrer un Patrick Bateman revisité contre Batman. Soyons vigilants, restons désinvoltes. Nat King Cole au piano chante Besame Mucho.

    La troisième carte postale donne à lire un graffiti comme aurait pu en photographier Brassaï ou Yves Pagès : « le délit d’injonction est répréhensible par le moi disant et passible d’extorsion littéraire ». Mais le graffiti n’est pas figé sur un mur à La Baule, il ondule sur des sables mouvants jusqu’à se reformuler constamment : « le déni est », « le soi tors », « passion », « pas », « cible », « lire répare le moi », « le délire parle », « torsion littéraire », « lit », « délie », « air ». Bande son : les vagues qui effacent ou révèlent alternativement nos pas dans le sable brûlant. La Baule, 2012.

    Au dos des cartes postales, il pourrait être question d’électrocution (méditative) et de méduse (fatale), de chant de sirène et d’envoûtement (abyssal). Il pourrait aussi être question de caniche cannibale sur la grève du Pouliguen, de crêpe caramel au beurre salé ou du glacier Becquète, mais au final, le soleil a (délicieusement) cuivré comme Claro ou (indubitablement) crâmé comme mon épaule gauche, et le calumet des mots fumé, on reprend ses esprits et un train vers le paranormal, les artères d’un réel indomptable. Time to live.

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