lundi 29 août 2011

Elémentaire mon cher : Stockholm


Claude Simon, Discours de Stockholm, éd. de Minuit, 5,50€

Le discours prononcé par Claude Simon aux membres de l’Académie Nobel n’est pas prêt de prendre des rides. Il se veut, en partie, une réponse aux critiques (disons plutôt : aux lazzi) adressées à l’œuvre de Simon après l’annonce de l’attribution du prix Nobel de Littérature à son auteur. Non pour se plaindre, mais pour tirer de cette réaction assez désagréable un enseignement. Que lui reprochait-on ? Oh, plusieurs choses. Tout d’abord d’avoir bénéficié de l’entregent du KGB, prétendument infiltré dans l’Académie suédoise. Passons sur cette accusation dont Simon, non sans humour, tire une facétieuse fierté.  Ensuite d’être un auteur « difficile », « ennuyeux », « illisible », voire « confus ». Vieilles lunes, mais qui continuent d’encombrer le ciel littéraire. Enfin, d’écrire des romans sans « commencement ni fin* ». A toutes ces remarques**, dont il convient d’entendre la violence, Simon répond avec calme et méthode, s’expliquant sur la notion d’art pour l’art, d’artificiel, etc. Il répond même à la question que s’était posée alors un critique (plus à lui-même qu’à son lectorat, suppose-t-on), question ainsi formulée : « En décernant le Nobel à Claude Simon, a-t-on voulu confirmer le bruit que le roman était définitivement mort ? » Réponse du concerné :

Il [le «critique»…] ne semble pas s’être encore aperçu que, si par « roman » il entend le modèle littéraire qui s’est épanoui au cours du XIXe siècle, celui-ci est en effet bien mort, en dépit du fait que dans les bibliothèques de gare ou ailleurs on continue, et on continuera encore longtemps, à vendre et acheter par milliers d’aimables ou terrifiants récits d’aventures à conclusions optimistes ou désespérées, et aux titres annonceurs de vérités révélées comme par exemple La condition humaine, L’espoir ou Les chemins de la liberté

Dépassant très vite l’opposition roman / antiroman, dont il n’a que faire, Claude Simon oriente alors son analyse vers un point sensible, celui de la description, dont il montre la montée au front à partir de Balzac, avec pour conséquence la mise à mal du primat de la narration. Mais ce qui brille le plus dans le discours de Simon, c’est sans doute cette phrase de Paul Valéry, citée à la page 23, et qui, dans un monde idéal, devrait suffire à clore plus d’un bec :

« Si (…) l’on m’interroge, si l’on s’inquiète (…) de ce que j’ai voulu dire (…), je réponds que je n’ai pas voulu dire mais voulu faire, et que c’est cette intention de faire qui a voulu ce que j’ai dit. »

La phrase vaut son pesant de sagesse. Sous son aspect rhétorique, elle a tout d’une arme précise, à la visée impeccable. Il faudrait la lancer à qui vous somme de vous expliquer sur votre « vouloir-dire ». Mais la littérature est « savoir-faire », justement, et non « devoir-rétorquer ». Elle fait ce qu’elle dit, au sens où elle le fabrique, dans le présent toujours recommencé de l’écriture. Lecture d’été ? Lecture d’étant. Non mais.

* Notons toutefois qu’au mépris du critique envers une fiction éclatée répond parfois la condamnation de tout narratif par certains tenants de l’expé. Toute immersion un peu trop prolongée dans le récit est jugée suspecte par ceux qui croient que narration = collaboration. C’est là une farce picrocholine qui n’attend qu’un Alcofribas moderne pour être moquée.
** Je ne sache pas que l’attribution du Nobel à Le Clezio ait déclenché pareille levée de boucliers. Est-ce parce que l’œuvre de ce dernier est jugée moins radicale ? ou parce que la fierté nationale est désormais mieux cotée que la haine envers l’écriture non conventionnelle ?

4 commentaires:

  1. Si on n'a pas de librairie sous la main et que l'on veut lire ou relire ce texte, il est toujours disponible sur le site du prix Nobel de littérature: http://www.nobelprize.org/nobel_prizes/literature/laureates/1985/simon-lecture-f.html

    RépondreSupprimer
  2. L'écriture de Le Clézio est plutôt très conventionnelle, rassurez-moi !
    Et merci pour le commentaire précédent qui permet d'éviter d'acheter un discours (de quelqu'un qui ne l'aurait peut-être pas vendu).
    a.

    RépondreSupprimer
  3. Avant même d'arriver à la réponse du concerné, je repensais aux mêmes genres de critique déjà ressasées pour Beckett en 69 - à qui certains auraient préféré... Malraux, précisément.

    RépondreSupprimer
  4. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

    RépondreSupprimer