Au commencement était le rock et Jean-Michel Espitallier était son prophète, a-t-on envie de rapper après avoir refermé comme un étui de guitare son électrique Du rock, du punk, de la pop et du reste. Deux cents pages tout entières consacrées au rocher musical qui fit s'écarter les eaux mélodiques quelques paires d'années après la fin de la Seconde Guerre mondiale. "Consacrées", c'est bien le terme, tant l'enthousiasme d'Espitallier à génuflexer devant la scène – la cène? – où se démènent les guitar heroes, les no-futuriens et les divins scarabées relève de l'adoration. Mais s'il ne s'agissait que d'un panégyrique – parfois élégiaque, certes –, son livre ne serait qu'un de plus dans la grande anthologie du tchak-tchak-boum. C'est loin d'être le cas. Tout d'abord parce qu'Espitallier, en batteur-poète, ne sait pas écrire sans faire vibrer sa boîte rythmique intérieure, et qu'il pense et décrit l'émergence et les pérégrinations du rock comme on enchaîne les riffs. Ensuite, parce que son érudition et ses goûts, qui lui font aimer autant The Clash que Humble Pie, autant Black Sabbath que Pale Saints, fonctionnent non comme le marqueur d'un savoir hypertrophié mais comme le signe ébloui d'une passion en perpétuelle expansion. Plaisirs sur lesquels l'enfer se fonde, non?
Le rock, sa vie, son œuvre – et ses démons, aussi, ses chutes, ses coups bas, ses vires et voltantes extases, ses nus et ses morts, ses roux et ses combaluziers – mais surtout les traces mnésiques qu'il inscrit dans nos vies. Oui, car parler du rock – ou plutôt le faire parler, comme s'y emploie l'auteur – c'est surtout réinscrire son irruption et son influence dans nos vies. Le rock comme mesure de nos âges en fuite perpétuelle. Le rock comme gifle adolescente mais aussi comme poussée maturante, et nos élans comme calqués sur tel cri de strato, telle cataracte de gretsch.
Beatles ou Stones? Espitallier, lui, c'est les Beatlones et les Steatles, c'est Syd Power et Cat Vicious. Ce n'est pas qu'il aime tout, juste que ses oreilles, qui sont clairement les tympans de son cœur, refusent de se fermer à tout ce qui, peu ou prou, descend en torve ligne de quelques accords grattés un jour au bord du Mississippi. Il y a bien sûr, dans tous ces allers et retours au sein de la bruyante et magique parade, un peu de nostalgie. Mais que serait le rock sans la nostalgie? Espitallier le dit très bien: les groupes qui perdurent sacrifient leur longévité sur l'autel du souvenir. Ils jouent encore et encore pour nous rappeler que rien n'est perdu, même si tout finit en chanson et entre quatre planches. Le rock a toujours aimé les rappels. Corde raide et saut dans le vide. Escalade et mise à mort. Du haut du rocher, s'élancer comme on danse.
Gorgé d'anecdotes et de saynètes, aussi édifiant qu'émouvant, doté de listes longues comme un solo de Bonham et drôles comme une saillie de Lennon, Du rock, du punk, de la pop et du reste ne peut que devenir un vade-mecum indispensable à qui a passé son Bach et entendu l'appel du sergent Poivre. Ok boomer, dites-vous? Mais que celui qui n'a jamais traversé Abbey Road ou fait un peu de stage-diving en rêve se lance à lui-même la première pierre qui roule. Et puis Espitallier a lu Nietzsche, Deleuze, Lyotard et tous les poètes de la galaxie, alors suivez-le sans débrancher l'ampli, en angry young men and women sorti.e.s des cavernes du backstage pour s'avancer dans le soleil hyper-watté du dernier concert avant la fin du monde. "Le plus profond, c'est la peau", dit l'auteur en fin de volume, un volume qui va s'amenuisant dans une ultime litanie de noms de groupes et troubadours électriques.
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Jean-Michel Espitallier, Du rock, du punk, de la pop et du reste, essai, Pocket (en librairie le 8 septembre)
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