mercredi 17 juin 2020

Conséquence: un jour après l'enfer

Je ne connaissais pas la revue Conséquence, dont je viens de recevoir la troisième livraison, datée de novembre 2019, mais que je ne découvre qu’après avoir lu les deux livres de Pierre Vinclair, et aussitôt je me dis que c’est ça, une « rentrée » littéraire, quelque chose qui se construit tout seul, par le biais du hasard et de la conjonction, de façon quasi astronomique, des livres vous arrivent (merci à Victor Martinez de m’avoir envoyé Conséquence), d’autres vous font signe depuis la table d’un libraire, se retrouvent en quinconce sur votre table, leurs dates de parution ne coïncident pas, le temps de leur lecture est arbitraire, mais sans prévenir ils s’alignent, échangent leurs énergies, frottent leurs mouvements. Il se passe quelque chose, alors que dans une rentrée littéraire ordinaire, seules des choses passent.

Si le numéro 3 de Conséquence est passionnant et exemplaire, c’est entre autres parce qu’il se préoccupe de la question de la traduction et commence par une démolition en règle du traducteur, qualifié de « garde-barrière », de « portier », de « moustique irritant », signée Hugo Hengl, lequel use et abuse de l’ironie afin de mieux souligner l’indifférence dans laquelle est tenue ce travailleur de l’ombre qui

                    « a patiemment vampirisé le suc [de l’ouvrage d’origine] pour en faire son miel, laissant derrière lui une coquille vide”.

Comment parler de traduction ? Après cette entrée en matière au vitriol, Conséquence enchaîne par un extrait de De l’esprit des traductions, de Madame de Staël, qui semble avoir été écrit hier, extrait dans lequel l’auteure estime que les traductions peuvent apporter à notre langue « des tournures nouvelles et des expressions plus originales ». S’ensuivent quelques pages inédites d’André du Bouchet, tirées d’un fascicule intitulée « De l’étranger, de la langue », où le poète insiste sur ce qui, lors d’une traduction, est en premier perturbé :

                    « ma propre langue a pu sur l’écart me paraître par instants étrangère »,

Ajoutant un peu plus loin :

                    « c’est le familier     –      le familial même      –       qui se révèle comme étant l’inconnu.   Avec qui alors frayer, il le faut. »

On découvrira dans ce numéro bien d’autres merveilles, que ce soit des extraits de Dark Zone, texte de l’hispano-péruvienne Montserrat Alvarès, en particulier le poème intitulé « Electrochoc » ; des textes de la russe Ianka Diaghileva, morte en 1991 dans des conditions restées obscures, de l’autrichienne Christine Lavant ; mais aussi quelques pages de Mathieu Bénézet, dont l’œuvre semble secouée de l’intérieur par le danger de la langue. On découvre également le tchèque Jan Zabrana, auteur du magnifique Le mur des souvenirs, publié huit ans après sa mort.

J’arrête là le déroulé du sommaire – il y est question également de LSD, ce qui me comble, vous pensez bien. Mais en ce qui me concerne, la révélation de ce numéro, c’est le texte de Cédric Demangeot (poète et traducteur entre autres du génial Nicanor Parra), dont nous sont donnés quelques extraits d’un texte à paraitre intitulé Méduse noueuse :

          « je connais la tendresse, dit entre deux
hoquets la tempe au pilon – je
 demande à la nuit dans sa cruauté
de me creuser le crâne en me désœuvrant
 c’est entre nous comme une petite guerre
que je me fais clarté d’entretenir
 pour mieux comprendre ou pour faire un
trou dans cette peau que nous avons commune
 et résistante : aux lavements successifs
(caresses, leçons, rinçage au noir)
 comme à ce vieux déchirement d’écrire »

Conséquence : cette revue porte bien son nom. Conséquence : On la commande sans plus tarder.


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