Trubert n'arrête pas. Trubert a fort à faire. A-t-il une famille à nourrir? Oui, peut-être, mais alors c'est sans doute celle de ses instincts, qu'il alimente sans cesse. Trubert est-il fou? Peut-être, mais il est malin, réactif, ingénieux, et ne fait guère de différence entre les sots, les innocents et les autres. Trubert a l'air de demander, mais en fait il prend. Il arrache. Et quand il donne, c'est pour mieux voler encore. Déterminé comme la foudre, instable comme l'eau. Prompt à se déguiser, abuser, s'acharner. Facile à s'esquiver. Improviser, rouer, moquer, dépouiller : pour lui, c'est tout un. La compassion: pas son rayon.
Tout commence par une pelisse. La sœur de Trubert a froid, il faut la vêtir, alors autant vendre la génisse. Et c'est parti. On est au cœur de la forêt de Pontarlie, et sous prétexte de payer une pelisse à sa sœur, le dénommé Trubert s'en va en ville. Ainsi débute la fable: le manque est un bon moteur d'avancée. Qui veut plus va plus loin. Et rien n'arrête Trubert, qui au début nous semble bien niais, mais se révèle assez vite d'une terrible malice. Il finit par acheter une chèvre, la peindre de toutes les couleurs, l'échanger contre une partie de jambes en l'air, faisant cocu un duc sur lequel désormais il va s'acharner. Pourquoi? Oui, pourquoi cet acharnement? L'auteur de cette fable du XIIIè siècle, Douin de Lavesne, ne nous le dit pas. Parce que le duc est sot? Parce qu'il est duc? Il est possible que Trubert n'agisse que poussé par l'attrait de l'entourloupe et le plaisir de nuire. Ce qui excite Trubert, c'est la malléabilité de la volonté humaine. Il n'aime qu'agir et jouit de voir autrui subir. Il usurpe – les positions, les habits, les conditions. Bastonne un duc et l'enduit de crotte, fait passer son vit pour un lapereau, trucide comme on se mouche. Sadien avant l'heure, ce Trubert. Jouisseur et profiteur. Il se fait passer pour un médecin, une pucelle, un roi, un bâtisseur. Il se fait passer pour mieux passer. Et ça passe. Certains, même, trépassent. Mais pas lui. Il s'en sort toujours. A peine a-t-il fui le lieu de son délit qu'il y revient pour en remettre une couche.
"Mère, eh bien, que dites-vous de cela?C'est ce que depuis hier j'ai gagné;– Mon bon fils, en exerçant quel métier?De qui tiens-tu tout ce que tu sais faire?– Ma petite mère, par saint Hilaire,Je n'entends sans doute rien au sermonD'école, mais je me crois assez bonPour multiplier un petit profit."
Multiplier un petit profit: c'est ce que Trubert fait tout au long de ces presque 3000 vers. Il invente le capitalisme à lui tout seul, comprend sans qu'on ait besoin de l'instruire que le profit est une forme savante du vol. La morale de l'histoire? Bien mal acquis profite toujours. Le tout est de ne pas se faire prendre, de renvoyer dos à dos et cul par dessus tête la grande tribu des escroqués. Trubert est tout sauf un Robin des Bois, mais ne lui mettez pas un Balkany entre les pattes, il en ferait de la pâtée.
Traduit très lestement et rimé malicieusement par Bertrand Rouziès-Léonardi – adapté et requinqué, devrait-on dire, mais on ne s'en plaindra pas –, le Trubert de Douin de Lavesne se lit au petit trot. Animé d'un souffle picaresque que rien ne semble pouvoir entraver, cocasse cruel culotté. Mettez-le sous le sapin dans quelques semaines et retenez votre souffle.
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Douin de Lavesne, Trubert, traduit du vieux français par Bertrand Rouziès-Léonardi, éditions Lurlure, 19€
Trubert ! C'est le nom du prof qui m'a dégoûtée de l'allemand en classe de seconde :)))
RépondreSupprimerSeul point commun avec le héros : la compassion, pas son rayon !
Merci Claro !