Ça a commencé à se savoir: les éditions Gallimard s'apprêtent à rééditer les pamphlets de Céline, et ce pour des raisons qui demeurent assez nébuleuses, voire fluctuantes. La veuve de Céline aurait besoin d'argent pour payer ses soins médicalisés, des éditions pirates circulent au détriment d'une édition "officielle", une édition canadienne existe déjà, Les Décombres de Rebatet n'ont pas fait de vagues, le temps a passé, il y a une demande, etc.
Bref, la motivation n'est pas très claire. En revanche, des écrivains sont invités à choisir leur camp par voie de presse. Pour? Contre? Il y a ceux qui les ont lus, ceux qui ne les ont pas (encore) lus. Ceux qui sont scandalisés à l'idée qu'on puisse mettre sur le marché des écrits antisémites, ceux qui pensent qu'on doit pouvoir accéder à ces textes pour compléter la fresque Céline. Censure? Pression? Fusion? Acquisition? Un appareil critique peut-il atténuer la portée immonde des propos tenus par l'auteur de Bagatelles pour un massacre? De tels écrits ne tombent-ils pas sous le coup de la loi? Quel genre de lecteurs va se précipiter sur ces textes? Les antisémites vont-ils y trouver matière à alimenter leur haine ? Les céliniens de quoi se désoler? Les amoureux de la littérature (et des chats) y trouveront-ils de quoi fourbir le débat sur la dichotomie-de-pain entre l'homme et l'œuvre? Céline est-il encore dans Céline? Doit-on nuancer la virulence haineuse de Céline en arguant qu'à l'époque l'antisémitisme n'était pas considéré comme un délit mais relevait davantage d'une opinion, qui plus est largement répandue ? (Ce dernier argument circule vaguement, bien qu'il soit aussi infondé que nauséabond…). Bref, la polémique "enfle", comme on dit.
Ce phénomène d'enflure n'a pas échappé aux éditions Gallimard, comme le souligne Emmanuel Requette, qui dirige la librairie Ptyx à Bruxelles, et qui a reçu, comme tous ses confrères, certainement, la missive suivante:
Les motivations éditoriales, on l'a dit au début de ce billet, ne sont pas très claires. La date de publication non plus, apparemment: "sans doute", "a priori"… En revanche, et ce malgré le climat un peu boueux de l'affaire, il y a certaines choses qui résistent à tout. Comme ce qui relève du "bon jugement" – c'est le sens du terme "judicieux". Ou, encore plus frappant, l'usage délibérément (?) célinien des points de suspension pour unir deux propositions en apparence indépendantes (remettre en avant le fond + la polémique enfle). Bon, il n'est pas sûr que l'appel à la délation et au meurtre des juifs auquel se livre Céline dans ces textes soit hyper vendeur, mais en revanche, ça peut éventuellement booster les ventes des romans de l'auteur (faut-il s'en réjouir? un train peut-il en cacher un autre?). On se demande accessoirement si Fayard va se livrer à la même stratégie commerciale quand cette maison publiera Mein Kampf de Hitler (publication elle aussi repoussée, elle aussi assortie d'un appareil critique protecteur, etc.). Les libraires recevront-ils un courrier du style: "Il sera judicieux dès que vous le souhaiterez de remettre en avant le fonds Shoah… alors que la polémique enfle autour de cette future publication."
Posons-nous simplement cette question: comment comprendre la formulation syntaxique de la phrase: "la polémique enfle…" Une polémique peut-elle enfler en soi? Quelque chose peut-il enfler de lui-même? Ou est-ce une façon rhétorique de donner une apparence active à un énoncé ayant un lourd passif? Mais surtout, n'est-il pas intéressant de voir que c'est le terme même de "polémique", utilisé dans le courrier commercial de Gallimard, qui a été choisi pour titrer les écrits pamphlétaires de Céline? Et non celui d'écrits antisémites? Mais si on avait choisi ce dernier titre, aurait-il fallu écrire, dans le courrier adressé aux libraires: "alors que l'antisémitisme enfle autour de cette future publication"? En tout cas, quelle concision dans ce courrier! Une seule ligne pour sensibiliser les libraires qui vont devoir manipuler un texte aussi toxique!
Alors, pour ou contre? Un début de réponse a déjà été fourni: +2% réels. Comme disait l'autre, tous mes vœux pour cette nouvelle année…
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Addendum (AFP /à 14h):
Les éditions Gallimard annoncent que le projet de réédition des pamphlets de Céline est finalement suspendu. « Au nom de ma liberté d'éditeur et de ma sensibilité à mon époque, je suspends ce projet, jugeant que les conditions méthodologiques et mémorielles ne sont pas réunies pour l'envisager sereinement » explique Antoine Gallimard à l'AFP.
Addendum (AFP /à 14h):
Les éditions Gallimard annoncent que le projet de réédition des pamphlets de Céline est finalement suspendu. « Au nom de ma liberté d'éditeur et de ma sensibilité à mon époque, je suspends ce projet, jugeant que les conditions méthodologiques et mémorielles ne sont pas réunies pour l'envisager sereinement » explique Antoine Gallimard à l'AFP.
les raisons sont pourtant claires
RépondreSupprimera part les 12 (allons jusqu'a 22) universitaires interessés (??) tout le monde s'en tape
c'est juste histoire de faire de la pub a bon compte
et parmi les gogos qui acheteront, combien liront (et comprendront ) ???
oh c'est pas difficile à comprendre. En substance : A bas point point point les Youpins point point point exclamation point
RépondreSupprimerPas grand chose à faire de ses ergotages stériles autour de Céline et de Gallimard...
RépondreSupprimerPas un mot sur Paul Otchakovski Laurens...
La tristesse est parfois privée de mots. Je garde mes morts en moi.
SupprimerCe commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerRééditer non. Car les pamphlets avaient été initialement publiés par Denoël il me semble. Sur le fond, bof, pas tellement nécessaire.
RépondreSupprimerLes "conditions mémorielles"... Franchement... Et pourquoi pas les additions sensorielles ? Les perditions catégorielles ? Les volitions sectorielles ?
RépondreSupprimerÇa reste difficile ces pamphlets céliniens. Publiés ce serait pour les critiques... après la question fallait-il publier ? (sans risque pour eux avec le parti pris ou le en même temps) mais parler du livre, et donc comme critiques être responsables pour le chant clair des malheurs nouveaux.le courage des critiques s'arrête là avec la décision ? d'Antoine Gallimard ,ouf juste avant la critique unanime...
RépondreSupprimerLa mort de Paul Otchakovski Laurens est une catastrophe pour l'édition. Lui aussi surtout lui dans le genre a eu ses écrivains à risques, il a pris des décisions en publiant souvent ! Et quand il a dit non c'était aussi une décision qui lui faisait aussi très mal. Mais c'était ce que doit être une vraie décision, pas des avis en amont, c'était agir. Je salut le courage du grand éditeur libre. Les critiques (la critique) parlera t'elle de ses choix qui devenaient décision qui se finissait par une action la sienne:être ou ne pas être.
Ça reste difficile ces pamphlets céliniens. Publiés ce serait pour les critiques... après la question fallait-il publier ? (sans risque pour eux avec le parti pris ou le en même temps) mais parler du livre, et donc comme critiques être responsables pour le chant clair des malheurs nouveaux.le courage des critiques s'arrête là, ouf juste avant la critique unanime...
RépondreSupprimerLa mort de Paul Otchakovski Laurens est une catastrophe pour l'édition. Lui aussi surtout lui dans le genre a eu ses écrivains à risques, il a pris des décisions en publiant souvent ! Et quand il a dit non c'était aussi une décision qui lui faisait aussi très mal. Mais c'était ce que doit être une vraie décision, pas des avis en amont, c'était agir. Je salut le courage du grand éditeur. Les critiques (la critique) parlera t'elle de ses choix qui devenaient décision qui se finissait par une action la sienne:être ou ne pas être.
C'est juste un coup de comm'. Et ceux qui veulent vraiment lire les pamphlets peuvent les trouver facilement sur le net, alors l'argument anti-censure ne tient guère. Les amateurs d'envolées stylistiques en seront pour leurs frais et les antisémites peuvent sans doute trouver pire ailleurs. Mais pour une fois que le mot "polémique" est employé à bon escient...
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