jeudi 14 septembre 2017

Le feuilleton, sa vie, son œuvre

Comme certains d'entre vous le savent déjà peut-être: depuis fin août, j'ai repris le "feuilleton" dans Le Monde des Livres, celui-là même qu'a tenu pendant six bonnes années le coruscant Eric Chevillard, jusqu'à ce qu'un accident de stylo l'oblige à scier l'échelle sous laquelle se noyait son chat de pique enragé. Ma nouvelle "charge" explique donc en partie le rythme quasi gastéropodien de ce blog (mais bon, il y a eu aussi l'été, cette période de vacance(s) qui permet de travailler deux fois plus…).

Le Feuilleton du Monde des Livres, c'est 5200 signes à taper sur le clavier chaque semaine, portant sur un ouvrage récent (mais ça peut être une réédition), de préférence de la fiction (Céline Minard veillant à la poésie active), de préférence de la fiction francophone, mais pas que, d'ailleurs ça me rappelle que j'ai commencé mon nouveau job par un court essai d'un écrivain américain sur la poésie, comme quoi les contraintes ne sont pas si contraignantes qu'on le dit.

Pourquoi écrit-on sur un livre? Parce qu'il vous plaît, bien sûr, mais ce n'est évidemment pas aussi simple. Ce genre d'exercice génère ses propres règles. Il ne s'agit pas de s'efforcer de repérer à tout pris des livres soi-disant "importants", de se ruer sur les "incontournables" – le livre présenté comme incontournable n'étant bien souvent qu'un candidat au couronnement littéraire en quête de confirmation de ce qu'il n'est pas. Non, il s'agit surtout de trouver le livre qui donne envie d'écrire sur lui, qui se laisse gratter, fouiller, dont l'énergie vous transfuse son gai savoir. On peut aimer un livre et ne pas savoir par quel paragraphe le prendre, ni comment rendre justice à son style. Pour prendre un exemple, je ne suis pas sûr de savoir parler d'un livre de Pierre Guyotat, même si sa lecture m'entraînera assez loin. (Mais bon, promis, si l'occasion se présente, j'essaierai.)

Le feuilletoniste, outre le fait que son titre ne prend qu'un "n", ce dont je doute encore, doit avant tout, selon moi, trouver dans un livre la matière – le matériau – à partir de laquelle / duquel tisser de nouvelles lignes, un peu comme une araignée dont on emprunterait l'intelligence dentelière pour tendre de nouvelles toiles, sans négliger de sculpter les gouttes de rosée qui vont avec. Bref, il est question ici de désir, évidemment. Parler d'un livre, c'est à la fois le faire parler, faire parler sa langue, et veiller à ce que votre voix ne recouvre pas la sienne, tout en s'autorisant un léger mimétisme afin de restituer sa cadence – difficile de louer un lyrique en scribant sèchement, ou de priser un sec en déliant la sauce. Reste à dénicher la perle non pas rare mais capable d'autre chose que d'un éclat de nacre. Aucun éditeur n'est à négliger, même s'il va de soi que ceux qui confondent diffusion et pollution peuvent aller se rhabiller. Le flacon ne fait pas peut-être pas l'ivresse, mais la boîte de lait condensé contient rarement du nectar. (Je finirais philosophe chinois du huitième siècle ou sage de zinc, c'est couru.)

J'ai pas mal hésité avant d'accepter de reprendre le flambeau du feuilletoniste. Je ne pourrais certes pas chanter tous les héros et toutes leurs armes, mais peut-être que, justement, ce fainéant de Clavier cannibale pourra constituer à sa façon un "off"  du feuilleton, et que certains livres que j'ai aimés mais dont je n'ai pu parler pour ixes raisons (le temps, la confiance, des questions d'évidence déontologique – puisqu'il exclu que je parle dans le cadre du Feuilleton de livres écrits par des proches ou publiés par mes éditeurs, désolé les Incultes sorry Actes Sud…) pourront y être traités, visités, palpés. Mais bon, le temps est, paraît-il, chronophage…

Quant à se livrer au sain divertissement du pétage de rotule stylistique, ma foi, ça ne saurait tarder, les candidats ne manqueront certainement pas, mais il est vrai que mon prédécesseur a déjà éclairci les fourrés de ce côté-là, et que tirer sur des ambulances n'a jamais désengorgé les hôpitaux. Enfin, s'amuser n'est jamais exclu.

Bref, que vous me lisiez dans Le Monde et/ou sur ce blog, n'oubliez pas l'essentiel, tel que l'a défini si justement un anonyme dont le nom m'échappe : la vitamine C mais elle ne dira rien.


6 commentaires:

  1. il est vrai que devant de tels propos, la vitamine B

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  2. pas forcément à mettre en ligne
    https://www.en-attendant-nadeau.fr/2017/09/12/eric-chevillard-restes/
    L’art d’accommoder les restes
    par Maurice Mourier
    Les éditions québécoises Notabilia ont proposé à Éric Chevillard de rassembler ses chroniques régulières au Monde des livres.

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  3. Arma virumque cano, Trojae qui primus ab oris Italia, fato profugus, laviniaque venit litora... bon, et bien s'il faut que je me remette à lire Le Monde (au moins le jeudi !) pour avoir le plaisir de te lire, il ne sera pas dit que je faillirai à ma tâche... même si cette feuille de choux macroniste me tombe carrément des mains ! Quand as-tu commencé, que je me mette en quête des numéros passés ?

    Jules

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  4. Oh mince faudra-t-il donc s'abonner à un journal en papier maintenant…

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  5. s'abonner au papier, pourquoi pas si c'est pour lire
    une ode sensuelle [] vivement dévidée une vie vouée aux visions voraces qui vivotent sous la vase (et vlan)
    heureusement la composition est maintenant numérique et la case des "v" ne s'est pas vidée
    Gutenberg n'aurait pas aimé, qui en aurait découpé ses "w"

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  6. Cela fait juste un an que le livre d'Onuma Nemon "Les états du monde" est sorti... Et il fallait bien une année pour lire le pavé. On se plaignait... de ne pas voir les critiques du grand livre... 5200 signes pour toujourss pour personne

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