jeudi 9 mars 2017

Vie des traductrices illustres: Anya Berger


Anna (ou Anya) Zissermann naît en 1923 en Mandchourie. Affectée très jeune d'un bégaiement, elle consulte Freud qui lui conseille de ne parler que le russe dans un premier temps. Plus tard, elle apprend d'autres langues, l'allemand, le français, l'anglais, un peu de polonais et de serbo-croate. Quand sa famille retourne vivre à Vienne dans les années 30, c'est pour entendre l'annonce de la réunification de l'Autriche avec l'Allemagne, prononcée par Goebbels. Anna se rend alors seule en Angleterre, où elle finit par décrocher une bourse à Oxford.

Elle écrit dans les journaux, est une des premières à louer le travail de Beckett. Elle s'est lancée entretemps dans la traduction, s'attaquant aussi bien à l'œuvre d'Ilya Ehrenburg qu'à un manuel de design écrit par Le Corbusier, aux œuvres de Trotsky, Reich, Benjamin, Lénine, Marx…

Sa rencontre avec l'écrivain John Berger marque un tournant dans sa carrière (Berger l'a remerciée au début de son roman Un peintre de notre temps, 1958). Ensemble, ils traduisent des textes de l'actrice Helene Weigel (du Berliner Ensemble) et de son époux, le dramaturge Bertold Brecht. Avec Berger, ils vont s'installer à Genève, où Anna espère pouvoir travailler comme interprète pour l'ONU. En 1972, Anya concocte une émission de radio pour la BBC intitulée "Women's Liberation", dans lequel elle explique que
"le monde tel que nous le connaissons est le fait des hommes et est dirigé par les hommes, avec la connivence plus ou moins tacite des femmes. Nous n'aimons pas ce monde. Nous n'aimons pas la violence, l'exploitation et la manipulation des esprits; nous n'aimons pas la société de consommation qui nous impose ses critères arbitraires de beauté et d'élégance, de même qu'elle impose aux hommes avec lesquels nous vivons de fausses notions de statut. Et surtout, nous n'aimons pas l'énorme gaspillage de potentiel humain que nous voyons partout autour de nous."
Elle publie, avec Berger, une traduction de Retour au pays natal, d'Aimé Césaire. Après sa séparation d'avec Berger, Anya Berger écrit pour le journal féministe Spare Rib, se rend à Alger pour le quatrième sommet du Mouvement des Non-Alignés, continue de traduire et de militer en faveur de la libération des femmes. Sa dernière traduction en date est l'essai de Leroi-Gourhan, Le geste et la parole.

Anya Berger a aujourd'hui 94 ans et demeure à Genève, dans une maison de retraite.



(Note: Ce post s'inspire de l'article de Tom Overton, Life in the Margins, paru le 27 février dernier sur le site frieze.com, que vous pouvez consulter ici.)

4 commentaires:

  1. ça alors Leroi-Gourhan !! Et comme ça devait être chouette Alger en 1973... Merci pour ce beau billet <3

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  2. D'autres billets comme ça !!

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  3. Ci-dessous un lien pour réécouter une émission de France Culture du samedi 11 mars, La conversation scientifique, consacrée à Barbara Cassin et à son dernier ouvrage, Eloge de la traduction, compliquer l'universel (paru chez Fayard).

    https://www.franceculture.fr/emissions/la-conversation-scientifique/que-veut-dire-traduire

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  4. Oui merci pour cet hommage aux discrets précieux.

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