Grâce aux éditions d'en bas, cette maison vaudoise à l'insatiable curiosité et aux choix aussi éclectiques qu'exigeants, il nous est régulièrement possible de découvrir des livres brûlants. C'est le cas du Registre des faibles, 43 chants, de l'écrivain italien Fabiano Alborghetti, qui vit par ailleurs dans le Tessin, le seul canton exclusivement italophone de Suisse. Son "registre" est non pas un roman en vers mais plutôt une approche concentrique d'un fragment de réalité, avec pour module de base un octosyllabe qui ne cesse de se prolonger et de se métamorphoser, une suite de chants précis et cinglants où; comme le dit l'écrivain Fabio Pusterla dans sa préface, "la blessure n'est pas celle, injurieuse, de la simple condamnation indignée; la caresse n'est pas celle, mielleuse, d'une absolution facile et indolore". En effet, Alborghetti radiographie un couple, sa déliquescence, la rouerie du mari qui s'enivre de sa lâcheté comme d'une force, la frustration de l'épouse qui ne voit plus son fils dans la vitrine du monde.
Un peu comme chez Gonçalo Tavares, le vers cherche ici à casser le récit, rendre plus crissante la description, donner plus de résonance aux sentiments, qu'ils soient dits, maquillés ou tus. La vie du couple est auscultée de plusieurs points de vue, tantôt jugée sans concession, dans l'affre de sa banalité, tantôt chantée de l'intérieur, au creux même de ses illusions. Rien n'est épargné, ni la veulerie du mâle ni la désolation féminine qui forment couple. Il y aura, aussi, un drame, car il y a un enfant, et cet enfant est comme une épine dans la plaie de la désillusion que nous donne à sentir et palper l'auteur. La deuxième partie, brève, introduit les médias, leur façon de recouvrir de bave le drame.
Dans ces 43 chants, l'homme ne jure que par lui, sa réussite clinquante et vaine, ses prérogatives de prédateur en costume, son mépris de tout ce qui frémit —
Je suis mieux si on y regarde bien, et même plus vrai:il examinait ces yeux dans le reflet, l'adhérencede l'image de la manière qu'il voulait…
Elle, talonnée par l'âge, habite le ressentiment, l'aigreur, à jamais revenue de l'amour:
tandis que jambes écartées son marri la fourraitlui disait les motset la comblait virilement et elle y croyait à ce moment-làet elle croyait que d'amour chaque instant était pleinet elle croyait que d'amour chaque geste était pleinet que l'amour lui suffirait par la suite[…]et que reste-t-il de la vie au final?
C'est un livre dur et âpre, habité d'un feu constant, car la métrique d'Alborghetti, tantôt cascadante, tantôt hypnotique, et que rend magnifiquement son traducteur Thierry Gillybœuf, ne lâche rien, ni le lecteur ni l'expérience qu'elle lui impose.
era bella e si piaceva, si pacievama lontano non presente in questo tempodove tutto ti rapina, dove il tempo è sottomesso(elle était belle et elle se plaisait, elle se plaisaitmais lointaine absente de l'instant présentoù tout se dévalise, où le temps est soumis)
L'auteur nous dit être parti d'un fait divers qui s'est produit en 2006, et on le croit. Mais sa démarche est, à l'instar de celle de Flaubert ingérant le couple Bovary, une démarche poétique, c'est-à-dire dans le cas présent une tentative pour arracher au factuel et au simple dire un drame inconnaissable. Alborghetti, par la grâce et la force de son scalpel, réinvente la rage contenue des grands poètes italiens.
Faudra-t--il l'offrir en cadeau pour voir pleurer tous les sapins ce Noel?Pour s'éloigner un peu plus d'un des nombreux textes qui nous rattachent à l'illusoire poétique ou prosaïque?
RépondreSupprimerSympathique lundi .