Pour entrer en littérature, il ne suffit pas de tuer
le père, il faut parfois aussi ressusciter la mère. La tentation biographique
n’a de sens que si elle dépossède l’ego, hors toute entreprise de salvation, dans
la panique quasi animale qui s’empare du souvenir. Avec Autour de moi, premier livre publié, Manuel Candré tient le journal
délité d’une enfance, où tout ce qui respire se double violemment de tout ce
qui crève. Le grand-père, la grand-mère, le père, la mère, la chienne, le
narrateur : une tribu nocive et furieuse, avec ses douceurs improbables,
ses chutes et récidives, rameutée par Candré dans une anti-fresque dédiée aux
« figures de l’absence ». L’auteur devient un œil qui se voit et se
revoit, non pour mieux se connaître, mais pour s’écarquiller et, dans l’orbe de
sa vision, apercevoir les autres, ces protecteurs que la mémoire sait peccables,
lâches, faibles, voire tortionnaires. Le récit est âpre et la langue attentive
aux écorchements. La virgule s’absente parfois, tel un luxe refusé, afin de
mieux prendre en défaut le souffle. Le récit est au présent, comme le souvenir,
qui cherche à contenir la douleur dans le recommencement et tient pour actuel
ce qui a été. Il y a des coups, des cris, des larmes, des bouquets de rage qui
n’en finissent pas de fleurir, mais également des épiphanies, chétives, certes,
mais tenaces, car l’enfance, même tourmentée et bafouée, sait attendre l’âge
adulte pour ne pas tout brûler.
Candré aurait pu se contenter de peindre et démolir,
par touches sèches et ressenties, ce passé tout en failles et ruptures, dire
seulement ce que retranche la mort et ce qu’accumule la violence, mais sa
langue le porte au-delà, et parvenu à la page 66, il me semble que le livre
bascule, s’affranchit de la vindicte du souvenir pour revenir sur ses pas,
repasser par les mêmes déchirures, mais avec une énergie différemment
reconstituée :
« La frustration à ce point-là ça rend dingue le sentiment qu’on est promis à autre chose forcément et qu’on ne lève pas, ne serait-ce que le petit doigt, pour sortir de l’ornière et qu’au contraire par l’inertie ou la rage tournée on s’enfonce un peu plus à chaque coup de manivelle. Parce qu’on refuse le labeur parce que ça signifie qu’on est laborieux et tout le corps mû par quoi on ne sait pas refuse d’être collé à la terre, ce corps il veut voler il rêve à voler tout le temps mais il ne sait pas donner l’impulsion car rien que ça c’est la fin des illusions par un retour de gravité. »
Dans un bruit de rocailles, en déponctuant de plus
en plus son approche, l’auteur, clairement, vient de faire sauter un verrou, de
chair ou de sens, on ne sait, mais la page vibre autrement, désormais.
L’expression « autour de moi » a changé de valeur. On passe de la
simple circonvolution (spéculaire, fragmentaire, faussement impressionniste,
tragiquement lacunaire) à quelque chose qui se veut vertige, mais vertige
dynamique, tournis musclé. Le tour de moi, comme le tour d'écrou, ou de magie. Candré, alors, fait de l’oripeau naturaliste (dans
son illusion) un voile à déchirer plus savamment – un regain surgit, les
valeurs foncent. Le changement est imperceptible mais ses conséquences, il me
semble, capitales pour l’auteur. Les scènes se rejouent, la mort est revisitée,
et l’anneau mnésique peut alors se refermer sur le « je ». On en dira
pas plus sur le finale du livre, qui révèle sans détour que l’animal sans cesse
crevé autour duquel tourne le récit est avant tout le silence. Silence au cou
enfin tordu, avec ce premier livre étonnamment strangulatoire.
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Manuel Candré, Autour de moi, éditions Joëlle Losfeld, parution le 30 août
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