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"Le
Salon du Livre de Paris se prépare à ouvrir ses portes. Depuis 2007, date de
son accession à la présidence de la République, Nicolas Sarkozy, contrairement
à tous ses prédécesseurs, n’y a encore jamais mis les pieds. Adepte des
marathons au Salon de l’Agriculture, familier du Bourget où règne l’ami
Dassault, coutumier du Mondial de l’Automobile du camarade Carlos Goshn, il
n’aura donc pas trouvé, en cinq ans, une demi-journée, pas même une heure ou
deux, à consacrer au livre.
Quoi
que les Français décident en mai prochain, l’histoire retiendra que jamais un
président de la République ne s’en sera autant pris à la culture – il aura
d’ailleurs été le seul à ne jamais en faire aucun cas. Nous gardons en mémoire
son offensive idiote contre La Princesse
de Clèves (œuvre dont les amateurs de littérature considèrent qu’elle
fonde, rien de moins, le roman moderne), offensive qui sonnait aussi comme un
lapsus : celui d’une certaine haine
de la culture et d’une forme assumée de mépris
de classe : comment voulez-vous qu’un(e) guichetièr(e) puisse lire,
encore moins aimer, le texte de Madame de La Fayette ? De même que nous
gardons en mémoire le déshonneur des attaques du camp présidentiel contre Marie
N’Diaye, prix Goncourt, sans que jamais le président de la République ou son
ministre de la Culture n’y trouvent à redire. Comme nous gardons en mémoire,
encore, la farce avortée du transfert des cendres d’Albert Camus au Panthéon. Chacun
complètera la liste à loisir.
Nicolas
Sarkozy a donc attenté à la culture.
Il
a remis en cause l’exception culturelle qui, pour partie, fonde la République.
Non content de s’être engagé dans la dérisoire pantalonnade que fut le Conseil
de la Création artistique (lequel, en dépit des talents individuels qui le
constituaient, se révéla aussi budgétivore qu’inutile), le président-candidat aura
mis toute son application à saper l’idée même d’un ministère de la Culture digne
de ce nom : le livre, relégué au rang de simple service, ne dispose plus d’une Direction
à part entière, tandis que les Directions régionales des Affaires culturelles
voient leurs crédits fondre, que les nominations n’ont jamais été aussi discrétionnaires,
que les subventions n’en finissent pas de baisser (quand elles ne sont pas supprimées),
et que les établissements publics se contentent de souffler dans le sens du
vent en singeant les agences anglo-saxonnes.
En
imposant une hausse de la tva (désormais
fixée à 7 %), le président-candidat prouve qu’il n’a ni compris, ni même perçu,
la fragilité du secteur : après avoir guerroyé contre l’Union européenne pour
imposer une baisse du taux dans la restauration, Nicolas Sarkozy aura fait la
sourde oreille avec les auteurs, éditeurs et libraires qui, unanimes, continuent
de tirer la sonnette d’alarme. Ici aussi, ici encore, le ministre de la
Culture, mis devant le fait accompli, n’aura pesé pour rien : inaudible, invisible,
impotent, il aura sans doute préféré conserver son poste et continuer
d’affaiblir une fonction ministérielle qui n’en demandait pas tant. Depuis, il
ne cesse d’ailleurs d’apporter de nouvelles preuves de sa méconnaissance des
enjeux, répétant à qui mieux mieux que la hausse de la tva ne représentera guère que 30 centimes d’euros
d’augmentation sur le prix de vente d’un livre. Mais qui chiffrera les heures
de travail des libraires ? Qui compensera les pertes sèches sur les livres
de fonds (l’âme de la librairie) ? Pour la librairie indépendante, pour la
petite et moyenne édition, pour les écrivains eux-mêmes, la mesure aura, a
déjà, des répercussions, répercussions d’autant plus dramatiques que le secteur
souffre déjà des mille effets conjoints de la crise et d’une surconcentration capitalistique
qui n’en finit pas de saper l’ambition proclamée de la diversité.
Ce
qui fut à l’œuvre, en vérité, durant les cinq années de ce triste mandat
présidentiel, c’est donc un mépris permanent, inégalé, pour la culture, le
livre et la connaissance : pour tout ce qui, en fait, ne se consomme pas
sur place. Ce qui fut à l’œuvre, c’est l’affaissement d’une République dont les
figures tutélaires eurent pour noms Voltaire, Hugo, Jaurès, Blum, Péguy, Bernanos,
de Gaulle, Mauriac, Malraux, Sartre ou Lindon : c’était avant que la
mystique se dégrade en spectacle et finisse par arborer le rictus de Jean-Marie
Bigard ou de Doc Gynéco.
Le
livre n’existe pas en dehors de la Cité. écrire
n’est pas un acte éthéré dont le monde serait absent : sans l’être
expressément, l’acte charrie aussi sa part d’engagement. Nous ne sommes pas
nécessairement d’accord sur tout, nous ne sommes pas pareillement militants, mais
nous avons en commun cette conviction : en méprisant la culture, c’est la
République elle-même que Nicolas Sarkozy expose ; c’est une certaine idée,
non seulement de la France, mais de ce qui fait vivre et tenir les hommes
ensemble, qu’il décide de passer sous les fourches caudines de la « profitabilité »
financière et de la raison « managériale ». Au moment où il brigue
un second mandat présidentiel, qu’a-t-il donc à proposer aux artistes,
écrivains, éditeurs et libraires, qui soit de nature à les soutenir et qui ne
relèverait pas de promesses seulement destinées à recueillir leur onction
(électorale) ?
Il
lit, dit-il. Devrions-nous l’élire ?"
Signataires: Philippe Annocque, écrivain ; Claro, écrivain ; Nathalie Lacroix, libraire ; Laure Limongi, éditrice ; Lionel-Edouard Martin, écrivain ; Vincent Monadé, directeur du MOTif ; Romain Verger, écrivain ; Marc Villemain, écrivain et éditeur.
[Ce "point de vue" est paru dans l'édition du 16 mars du journal Le Monde]
Je m'associe pleinement à votre texte.
RépondreSupprimerNicolas Vives/Bustos, libraire et blogueur.
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimer"Ce qui fut à l’œuvre, c’est l’affaissement d’une République dont les figures tutélaires eurent pour nom ... de Gaulle"
RépondreSupprimerAh, la France du Général, ça c'était la grandeur !... No comment.
(the devil is in the details)
Vous y allez fort ! D'autant que cet homme n'est pas l'auteur, mais le continuateur - et il est vrai, le révélateur - d'une lente dérive qui a quarante ans d'âge. Car ne l'omettez pas, en face de cette extraordinaire figure, nous avons ça. (Ce qui certes, n'est pas non plus pire que ça).
RépondreSupprimerNe feignez pas la naïveté : l'immense majorité de ses confrères sont de la même trempe, et ne jugent que par l'effet médiatique de leur présence (ou de leur absence) lors d'un événement quelconque. Ce qui, simplement, le sépare de ceux qui masquent leur ignorance, est l'absence de pudeur morale. "Je sais que je ne sais pas, et je m'en branle pas mal !" pourrait-on l'entendre expliquer, tel un nouveau philosophe.
Je suis de ceux qui considèrent qu'ainsi qu'à la terre, la France a un rapport charnel au livre, à l'intelligence, à l'esprit, et que l'actuel président n'est nullement la cause, mais le symptôme de l'effondrement national. - Peut-être est-ce là, d'ailleurs, le dernier stade de la civilisation, après le règne de la culture, après l'épuisement de la technique, ainsi que le prédit l'excellent Spengler, dans Le Déclin de l'Occident ?
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