mardi 6 septembre 2011

La rentrée littéraire: choir ou choisir

Disserter sur le phénomène de rentrée littéraire, c'est là un des dadas de la presse… à chaque rentrée littéraire. Outre le fait que ça permet de prendre la place d'un article sur un livre – un peu comme une énorme photo d'auteur dispense d'aller au-delà de deux mille signes… –, ça permet parfois de sortir un ou deux propos révélateurs. En philo, on appellerait sans doute ça le retour du même (pas du refoulé, hein…) mais différemment. Same thing but different, comme dit l'autre. On sent comme un sentiment de culpabilité, voire de gêne à chaque rentrée, sentiment qui heureusement se double d'une petite dose de fierté. Du style: bon d'accord, on est fous, on publie trop, plus de six cent bouquins en trois semaines, comment voulez-vous qu'on s'y reconnaisse, etc. Mais aussi: bon d'accord, ça peut paraître dingue, excessif, mais quel pays peut s'enorgueillir d'autant de coups de projo sur autant de livres. Bref; trop c'est mieux que rien, voire utile.

Un article paru sur le site Les Echos, et signé fabella (!), vient fort à propos dissiper quelques malentendus. On y apprend deux choses passionnantes:
1/ " la présence des livres dans tous les médias, donne des moyens formidables, qui n’existent pas le reste de l’année, pour toucher le lecteur occasionnel là où il est. (…) Le fait que l’on parle de livres, au journal de 20h ou dans les magazines généralistes, avec des conseils d’achat, au-delà de ce cercle littéraire fermé qui ne s’adresse qu’à lui-même, est indispensable pour ne pas se couper du lecteur intérimaire.

2/ "Celui qui lit 12 livres par an, peut supporter un ou deux échecs. Celui qui en lit un, s’il se trompe, n’essaiera peut-être pas l’année suivante. Il ira rejoindre, malgré lui, la foule immense qui ne lit plus de livres… Quel est le bon critère pour choisir? La couverture. Le titre. L’auteur?…. C’est difficile. Alors pourquoi pas le prix littéraire? Auréolé de son image d’expertise, le jury rassure. Quels que soient les détours qui conduisent un livre a recevoir un prix, s’il a été choisi parmi 654 autres, par ceux qui en lisent beaucoup, c’est qu’il ne peut pas être totalement raté."
Ouch! On appréciera la formule "ce cercle littéraire fermé qui ne s'adresse qu'à lui-même". Outre le fait qu'un cercle a pour ambition première d'être fermé – sinon ce n'est plus un cercle mais un doughnut entamé –, on est ravi d'apprendre que les livres évoqués à 20h à la télé réveillent le lecteur qui se cogne de tout ça. Ensuite, on apprend que les prix littéraires (pas la peine de préciser de quels prix il s'agit parmi les 3000 et quelques qui existent…) permettent au lecteur qui ne lit qu'un livre par an de ne pas se tromper.
Allons, ne soyons pas de mauvaise foi et ne critiquons pas ces réflexions qui ne sont pas bien méchantes, à défaut d'être futées. Mais retenons toutefois une chose:
"Celui qui en lit un, s’il se trompe, n’essaiera peut-être pas l’année suivante".
Ah, mais voilà qui est passionnant. Lire un livre et en même temps se tromper! "Supporter un échec", d'accord, mais pas si on ne lit qu'un livre par an! Cela remet en perspective le principe même de la lecture. Imaginez: Monsieur X. ne lit qu'un seul livre pas an, disons le dernier Nothomb, or voici que le journal de 20h lui conseille d'acheter le livre d'Antoine Boute paru aux éditions du Petit-Matin qui, coup de bol, vient de recevoir le prix Courgont. Monsieur X. achète le livre et là, bingo, il aime. Ouf. Mais s'il n'aime pas? S'il est dérouté? S'il a l'impression de vivre un échec (qu'il ne peut décemment supporter)? S'il a le sentiment de s'être… trompé! Oh mais alors Monsieur X se dira peut-être que c'est le journal de 20h et le bandeau rouge du prix qui l'ont trompé et acculé à un échec. Du coup, vexé, il n'écoutera plus la télé, se fichera des rectangles cramoisis et surtout arrêtera définitivement de lire. Il boudera la littérature. Na!
Vous avez un début de migraine? Ça tombe bien, moi aussi. Vous voyez, dès qu'on parle rentrée littéraire, on s'égare, on dit n'importe quoi. On ne sait plus où on en est. On se trompe! On vit l'échec! Allez concluons: il n'est pas nécessairement tragique de se tromper de livre. C'est peut-être même le principe actif de la démarche qu'est la lecture. Vous entrez dans un livre qui est censé raconter un adultère de province et paf! vous avez droit à une leçon perverse sur l'usage de l'imparfait – merci Flaubert! Un livre n'a pas pour but express de "tromper" son lecteur, faut-il le rappeler. Un livre a pour but (incidentally) de "créer" son lecteur. La lecture peut être échec, le lecteur peut achopper, il peut mal lire, lire de travers, lire à côté, etc. Et pour cause: il n'est pas encore lecteur, il suit une formation, un apprentissage, il expérimente un devenir-lecteur, à chaque fois différent.
Alors, prions pour que des milliers de lecteurs se trompent, et tombent par mégarde dans "autre chose" que la sousoupe du gentil roman bourgeois. Que mille lecteurs échouent ! Qu'ils échouent mieux, surtout.

6 commentaires:

  1. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

    RépondreSupprimer
  2. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

    RépondreSupprimer
  3. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

    RépondreSupprimer
  4. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

    RépondreSupprimer
  5. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

    RépondreSupprimer
  6. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

    RépondreSupprimer