De quoi ça parle? La question, quand elle survient, a l'aspect rêche d'une pierre censée poncer quelque chose. De quoi parle un livre? Bonne question. Question qui, en dépit de son authentique souci, a déjà commencé à nier son objet. Car si l'on demande de quoi parle tel livre, on ne peut (qu'on soit écrivain, éditeur, libraire, lecteur, etc.) décemment répondre qu'il traite de… l'épineux problème du style. Ce qu'on attend comme réponse, c'est la divulgation du sujet. Or le sujet, on le sait depuis quelques milliers d'années, pas seulement depuis Beckett et Bobin (je déconne…), est le meilleur ennemi de l'écrivain. Il est son dada et son bouclier, sa rampe de lancement et la fosse où tout peut finir, fers en l'air. Il est, littéralement, le "pré-texte" au texte, parfois son "sous-texte", trop souvent son "con-texte" (littéralement…). C'est en lui que réside, apparemment, les clés de la demeure. Lui qui a charge d'émotion, de rire, de réflexion. Il est socle, structure – et surtout: ancre folle, qui entraîne l'esquif et ses passagers par le fond, à force de racler un sable que personne ne voit.
On s'en doute. Un livre (je parle ici de fiction, bien sûr), ne parle pas de quelque chose, bien que pas mal de romans, par fainéantise et adoration d'un pseudo-réel romanesque, parlent effectivement de quelque chose, et ce en dehors de toute parole à reconstruire. Il ne parle pas de quelque chose, il expérimente plusieurs choses, qui ne sont pas des choses, mais déjà des combinaisons d'affects, de grammaires secrètes, etc.
Pourtant, le sujet fanfaronne sur la scène, émissaire autant qu'éponge. Il se croit le porte-parole du livre. Disons crûment les faits. Si j'écris un roman qui évoque le déchirement d'un couple après la mort d'un nouveau-né, je suis presque assuré, sauf faux-pas, de produire de l'émotion – et ce quel que soit mon écriture (je schématise). Ce qui va émouvoir, ce ne sera donc pas à proprement parler mon écriture, mais le sujet (même anecdotique, périphérique, etc.), par le seul fait que le sujet en question sera fort.
Le sujet (même lointain, feutré, parcellaire) cherche à remporter la mise. Il est, forcément, nécessairement, ce contre quoi je dois lutter. Car si j'écris, mon projet ne peut être décemment d'émouvoir le lecteur en lui racontant la mort d'un nourrisson et la séparation d'un couple. Ou le décès d'un grand-père adoré. Ou la défenestration d'un mentor. Ou…
Un écrivain conscient de ces erreurs de parallaxe ne devrait jamais perdre de vue ce hic. L'idéal serait d'arriver à émouvoir le lecteur en lui racontant la mort d'une éponge (une éponge de cuisine, tant qu'à faire). On saurait alors avec certitude qu'il ne mise pas sur un fonds émotif commun pour obtenir l'adhésion du lecteur. Ce qui n'est pas si saugrenu que ça, puisqu'il n'est pas censé rechercher l'adhésion du lecteur : n'a-t-il pas autre chose à faire? cent mille autre choses à faire dans son écriture?
De quoi ça parle? Oh, faudrait-il répondre d'un air désabusé, tu sais ce que c'est, une banale histoire d'adultère entre grammaire et lexique, mais à la fin les épithètes détruisent les adverbes et la ponctuation s'enfuit vers des terres nouvelles.
De même que l'écrivain se doit de lutter contre son sujet, il a devoir de combattre son style, n'ayant aucune envie de se parodier lui-même, sauf si bien sûr la recette lui importe plus que la confection. Ceux qui ne luttent pas contre leur sujet, ne combattent pas leur style, savent très bien ce qu'ils font: ils laissent leur livre parler d'autre chose que de lui, laissent leur livre parler, et dénoncer allégrement les thèmes qu'ils ont abordés (mais hélas pas sabordés).
(to be continued?)
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