Un peu barbare ce "s" à la fin du verbe (?) écrire, mais bon, disons les choses comme elles sont, ou plutôt disons qu'il s'agit d'autre chose. Ecrire n'est jamais commettre l'acte singulier d'écrire, sinon ça serait de la balle, du toboggan, du prends-moi-là-tout-de-suite. La singularité de l'écriture, si je ne m'abuse ni me mens, c'est plutôt la pluralité de son feuilleté, l'incroyable multitâche dont elle s'honore et s'humilie, à proportions inégales. Puisqu'écrire un livre (prenons cet exemple plutôt que celui du roman formaté qui cause du trentenaire de quarante ans amoureux de la violoncelliste rousse qui lui fait oublier sa rupture urbaine…), puisque, donc, écrire un livre c'est écrire plusieurs livres (many books) :
le livre qu'on aimerait écrire (= le plan simplet qui a germé après un verre de chablis ou la lecture d'un article dans Le Monde 2)
+ le livre hyper construit qu'on échafaude comme un organigramme
+ le livre mouvement & fluidité qu'on imagine et ressent
+ chaque phrase qui va et vient et avec elle colporte des pistes noires pour lesquelles nos skis à l'encre noire semblent peu faits
+ la mesure de ce qu'est un paragraphe dès qu'il arrête de se branler au lieu de s'écourter + la conception du poids précis d'un chapitre, une fois les calories cramées des brouillons
+ le livre qu'éventuellement on voudrait digne d'être lisible
+ le livre qu'on se fantasme lire à haute voix
+ le livre secret qui toque à la trappe du livre officiel
+ le livre raté qui veut à tout prix aider le livre réussi à flancher
+ le livre déconstruit qui rappelle au livre construit que l'architecture n'est pas tout
+ le livre instinctif qui essaie vainement de sauver le livre archi-pensé
+ le livre amoureux de son style qui s'aperçoit qu'il est assis sur lui-même…
(ouf, on en passe…)
Ecrire c'est toujours brasser mille cartes d'une seule main. Parce que décrire une pierre peut être une façon d'expliquer la jalousie, parce qu'un dialogue peut être un détour pour ne pas décrire, parce qu'exposer une situation ne vaudra jamais la tentative de description d'une fêlure à la surface bombée d'un vase; parce que bannir le possible de la poésie du roman c'est juste se faire croire que le réel est un produit et non une production; parce qu'un mot pèse sa plume et son plomb selon qu'on croit à l'avenir du kilogramme en vase clos et cependant farcie d'un million de fleurs en plastique recyclable mais dans quel lecteur?
Bref, l'écrivain fait plusieurs choses à la fois (on l'espère), et à chaque fois essaie (on l'espère) de se rappeler toutes ces choses, pour ne pas en faire qu'une seule (sinon il sera primé), pour ne pas en faire trop (sinon il sera loué). Et c'est sans doute là la magie d'écrire, sa prestigieuse, acide, agitation: faire mille et un comptes en une seule addition. Ne jamais perdre de vue les mirages, les horizons réels, les vues de l'esprit. Etre le grand contrôleur qui se permet le luxe de perdre pied pour changer de pointure.
Qu'est-ce à dire? Ecrire n'est pas dire. C'est peut-être le contraire de dire. Se dédire? Allez savoir. Enfin, si vous voulez savoir, eh bien, n'écrivez pas, on ne sait jamais.
(To be continued?)
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