Publié sous le manteau en Roumanie en 1945, mais écrit directement en français, Le Vampire passif du poète Ghérasim Luca, réédité en 2001 par les éditions José Corti, est une tentative pour relancer la donne du fameux hasard objectif prôné par Breton en se concentrant sur l’interprétation et la confection des objets comme offrandes oniriques mais diurnes. Au rêve, réceptacle des pulsions inconscientes, succède l’objet offert, dont il convient de décrypter le symbolisme :
« L’objet offert permet d’introduire cet inconscient collectif dans les relations diurnes et directes entre les hommes, relations qui, au travail d’interprétation le plus élémentaire, se montreraient tout aussi subversives, étranges et révélatrices que celles du rêve. » (p.9)
Photos à l’appui, Luca élabore au moyen d’une prose rigoureuse où sophistication à la Breton et lyrisme à la Lautréamont s’équilibrent sans cesse un complexe vade-mecum de l’offrande, inventant ainsi un vaudou quintessentiel pour l’homme occidental post-freudien. Aussi ne faut-il pas s’étonner si le désir joue un rôle non négligeable dans les règles du jeu de cette magie ni noire ni blanche, ni si l’objet en question est toujours la rencontre pas si fortuite que ça d’éléments disparates ou antagonistes. Enchaînant, comme au temps défricheur de Nadja et de L’Amour fou, discours théorique et narration décalée, Ghérasim Luca lâche néanmoins la bride de l’écriture automatique par moments, et c’est quand il laisse fuir ses fulgurances par des brèches non répertoriées qu’il touche à d’éclatants pics poétiques. La seule notion de « vampire passif » lui permet ainsi de bâtir un fabuleux moteur à transfusions, où l’imaginaire gothique trouve à se rafraîchir de façon de plus en plus sulfureuse, à mi-chemin entre Fantômas et Belzébuth. Dès lors, l’esprit du fétiche règne, parfumé à la violette délétère, et Luca, en sadien régénéré, s’amuse à déconstruire le sujet et ses métamorphoses :
« Je ferme les yeux, actif comme les vampires, je les ouvre en dedans, passif comme les vampires, et entre le sang qui arrive, celui qui part et celui qui se trouvait déjà en moi se produit un échange d’images comme un engagement de poignards. » (p.50)
La mystique noire ainsi mise en place se déplie, se densifie, vibre et trouble, donnant au climat profondément nervalien dont a su hériter le surréalisme cette dimension à la fois profane et amorale qui a permis au poétique d’augmenter le degré d’ébullition du narratif. La pensée, bouleversée par ses avatars somnambuliques, redécouvre la kabbale du dire, à mi-chemin entre désir et délire. C’est une opération connue, certes, mais dont on aspire encore à prolonger les échos.
Ghérasime Luca, Le Vampire passif, éditions José Corti, 13€72
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