vendredi 7 février 2014

Maître Bilger et la parole "libérée"

Quand un magistrat fait part de ses engouements littéraires, comme c'est le cas de Philippe Bilger pour la romancière Françoise Bourdin, ce n'est pas pour parler style, mais pour instruire un procès. D'abord celui de la presse littéraire, celle du Monde en particulier, à qui il reproche un certain mépris pour la littérature populaire (rappelons que F. Bourdin vend à peine moins que Musso et Levy…). Que pourrait bien faire la pauvre Françoise pour avoir droit aux honneurs du Monde? Pas grand-chose, hélas, ainsi que le déplore maître Bilger:
"Même si Françoise Bourdin s'efforçait d'instiller de l'hermétisme et de glorifier l'homosexualité, cela, je le crains, ne suffirait pas."
Bon, là, on voit clairement que ce qui agace cet amoureux des lettres, ce n'est pas le désintérêt du Monde pour les best-sellers, mais leur prédilection pour… l'hermétisme et l'homosexualité. C'est beau, la subtilité, quand même. Ça évite d'être frontal, ça permet de ne pas dire: eh-oh, bande de pédés abscons. Mais tout le monde comprend le message. La litote agite ici sa fière dentelle pour mieux diffuser ses vents brenneux (aïe). Ça permet aussi de dire: non mais dites donc, je suis magistrat, je lis des livres, j'interviewe des humoristes, en plus j'ai le droit de sortir des trucs aussi énormes. Mais Bilger ne manie pas que la litote. Il excelle également dans la peinture de mœurs. On en prendra pour preuve ce portrait qu'il fait d'Alain Soral :
"Parcours contrasté, chaotique, apparentes fluctuations idéologiques mais sous-tendues par une approche jamais banale, toujours provocatrice, à contre-courant, une infinie répugnance à l'égard des poncifs même les plus utiles, les plus bienfaisants, une maîtrise du langage violent dans sa netteté et son art des formules […] un dissident campant sur sa singularité de foudre, d'humeur, d'agression et de discrimination, une nature."
Chaos, flux, passion, solitude, violence, foudre — nature! On pourrait croire qu'il parle de Nietzsche, mais en fait non, il parle bien d'un homme d'affaire franco-suisse et national-socialiste. Et une fois de plus, on retrouve l'imparable et brune rhétorique qui glorifie la singularité des trafiquants de fiel sous prétexte qu'ils ont du panache, voire des couilles. Ça a le mérite d'instiller du compréhensible et de glorifier la virilité. Mais Soral n'est-il pas antisémite? Oui-mais:
"Antisémite affiché, Soral fait preuve sur ce plan d'une déplorable pauvreté intellectuelle en même temps que d'une triste éthique quand il justifie sa position notamment par le fait qu'il était signifiant et révélateur que les Juifs avaient toujours été persécutés et qu'en quelque sorte leurs souffrances venaient d'eux."
Bon sang mais c'est bien sûr! Ce que Bilger reproche éventuellement à Soral, ce n'est pas d'être antisémite, mais de faire preuve de "pauvreté intellectuelle" dans la justification de sa "position" (oui, vous avez bien, lu, l'antisémitisme est une position). Ce qui n'empêche pas Soral de camper dans une "singularité de foudre". Là encore, on n'est pas franchement dans l'hermétisme. 
Bref, quand maître Bilger tient dans son bec un fromage, on n'est tout sauf alléché par son odeur. Et on se dit que, finalement, un des grands mérites du mariage pour tous sera d'avoir contraint les corbeaux à se tailler des plumes entre eux.

5 commentaires:

  1. Maxime LILENFELD7 février 2014 à 15:27

    Et la vôtre de plume semble bien affûtée ici maître Claro-sur-une rage-bien perché. Je ne vous connais pas depuis très longtemps et comme je "remonte" la profondeur de jeter de vos lignes,je me dis que la tournure que prend votre blog devient autrement formidable. Faire livre les livres tout en parlant du contexte présent de la société est très subtil. Une vraie possibilité d'éducation citoyenne pour ceux qui veulent bien "en" prendre. Vous lire essoriller les fabricants de la novdoxa est réconfortant. Ca empêchera de lire dans le vide. Ca permettra d'accepter que certains écrits doivent nous télescoper avec le réel.
    Il est un genre de fleuve qui coule de nos journaux écrits,télévisés ou radio-diffusés, charriant de drôles de relents d'un passé pas si vieux.
    Bilger,c'est ce qui arrive quand on mélange les magistrats et les serviettes. Les premiers, s'estimant parés à vie de leur sainte hermine, s'essuient les pieds sur les têtes de ceux qui ne veulent pas le monde comme eux. Et à force de vouloir recycler dans nos médias (Bachelot philosopho...à définir, Jeannette Bougrab qui grand-journalise appuyée sur son coude très droit), il est "normal" qu'aussi nous entendions depuis quelques années le "Bilzer" zozoter des insanités sur RTL aux bonnes heures. Ce qui vaudrait procès à beaucoup d'autres, est benoîtement proféré par un magistrat recyclé;de concert avec un Yvan Rioufol qui caquette sa haine de tout non comme lui avec un débit de message en morse qu'il ponctue d'un lot de "naturellement" qui doit le conforter encore plus que les féroces hurlements postillonnés par Elisabeth Levy. Et quand siège avec eux le Buisson alors, le club des ABSTRUS repose bien mieux sur ses quatre piliers:paralogisme+sophisme+syllogisme+paranoïa.
    Et là, fenêtres fermées, fumant par les naseaux leur propre haine dont ils s'enivrent ensuite, ils livrent
    de telles billevesées fantasmagoriques.Et la désignation des ennemis devient tellement erratique que là-même où ils pensaient nous fourvoyer, ils se perdent eux-mêmes. Bilger qui veut finasser en périmètre Soral!!!? Que fait-on? Rire? Hoqueter? C'est vrai que le maître à "iconoclaster" de Bilger est Eric Zemmour dont il admire tant "la finesse du style et le courage devant les censeurs" sic!

    Mais, ne part-on pas des déchetteries pour aller au recyclage?

    C'est très appréciable de constater que l'indignation est partagée, que le "laissons-tomber ils se calmeront tout seuls" ne doit plus être de mise. Le monde tourne avec nous tous autres AUSSI.
    Rafraîchissants ces coups de "gueule"( oh là, c'est pas moi que z'ai inventionné l'espression) réguliers entre les lectures. Avé!

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  2. J'aimais bien quand ce blog parlait littérature.
    Des gens qui nous font partager leurs "opinions", on en trouve de partout.

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  3. Ah, si vous trouvez que ce blog ne parle plus de littérature, alors que 83,5% des billets postés, à raison de cinq par semaine, traitent de livres (ou de l'édition), je ne peux plus rien pour vous…

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  4. Je me permets simplement de faire remarquer que Philippe Bilger étant magistrat, le titre de "maître" utilisé dans le titre est incorrect car réservé aux avocats ou notaires par exemple.
    Merci.

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  5. Bonjour.

    Prendre une phrase, juste une, et tirer des conclusions aussi terribles. Mais quand donc cessera-t-on cette malhonnêteté calomnieuse que l'on nous sert ad nauseum. De politiques sans honneur aux journalistes couchés, et les littéreux s'y mettent? Mazette!

    Feindre d'épouser une cause dans un but purement opportuniste, voire mercantile, cela n'existerait pas? Bien-sûr que oui, c'est même un sport national. C'est de ça et uniquement ça dont il est question - à tort ou à raison, ce qui est le vrai sujet - via la phrase que vous extrayez pour imprégner un homme de l'odeur de sang afin que la meute s'en occupe. J'en ai lu des billets de Bilger par quintet. Auncun fond homophobe.

    Et puis: "quand un magistrat fait part de ses engouements littéraires..." Cette élimination condescendante par la fonction!, qui fait se demander de quelle hauteur vertigineuse parle-donc celui qui raille avec cette subtilité de mamouth en ballerines la capacité des magistrats de s'engouer de litterature! On sent dès l'accroche suinter ce racisme sectoriel incroyablement vil, apanage des esprits тупые как нажи comme dirait un moujik - d'une insondable et crasse bêtise.

    Je vous souhaite une bonne journée.

    Jean.

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