mardi 26 mars 2024

L'écrivain est-il un intermittent comme les autres ?

© Voutch

Certaines voix se sont élevées pour demander à ce que le statut d'auteur bénéficie des mêmes avantages que les intermittents du spectacle, et ma foi, pouvoir bénéficier d'un congé maladie, d'un congé maternité ou paternité, d'un chômage d'un an et demi, etc., cela peut faire rêver. Mais comment s'y prendre? Imaginez la personne de Pôle Emploi – pardon, de France Travail – vous passer un petit coup de fil. Imaginez juste.




– Bonjour. Je voulais faire avec vous un petit bilan. Où en êtes-vous en matière de recherche d'emploi.

– Eh bien, j'écris en ce moment.

– Super. Combien touchez-vous actuellement pour ce travail?

– Rien. Je ne serai payé que lorsque je rendrai mon manuscrit.

– Combien allez-vous toucher?

– Je sais pas. Deux mille euros max.

– Et quand comptez-vous le rendre?

– Je ne sais pas. Dans cinq mois ou dans dix ans ou jamais.

– Je vois. Que diriez-vous d'une formation?

– Pour faire quoi?

– Nous avons une formation intitulée "Le suicide pour les Nuls."

Autre hypothèse:

– Bonjour. Je voulais faire avec vous un petit bilan. Où en êtes-vous en matière de recherche d'emploi.

– Je n'écris rien. Je suis bloqué.

– Donc vous ne travaillez pas?

– Euh si, mais je suis bloqué.

– Vous êtes bloqué pour combien de temps?

– Je ne sais pas. Cinq mois ou dix ans ou toujours

– Je vois. Que diriez-vous d'une formation?

– Pour faire quoi?

– Nous avons une formation intitulée "La fin de vie pour les Nuls."


Bref. Je pense qu'il ne va pas être facile de fignoler des critères pour les auteurs ayant droit à tous ces droits auxquels ils n'ont pas droit. Un écrivain n'est pas un intermittent. Il est un plein temps abonné à la jachère, au mieux. Et quel rapport entre Claude Simon et l'auteur de "Traiter ses hémorroïdes par le mépris"? Quel rapport entre Laura Vazquez et Thomas Vinau? Entre Bernard Collin et un auteur d'un livre de coaching sur la win-win? Faudra-t-il avoir déjà publié? Avoir du succès de merde? Être plus Minuit que Grasset? Avoir eu des bourses du CNL ou pas? Etre résident systématique ou juste au RSA? Avoir été traduit en coréen pour deux cent cinquante euros ou adapté par Disney?  Combien de livres ? Quels tirages? Quelles ventes? Quel pilon?  Un auteur confirmé à succès aura-t-il le droit au chômage (et pourra-t-il écrire pendant qu'il est au chômage?). Un auteur qui vend peu (la majorité) aura-t-il droit de prendre un congé maladie s'il se foule les deux index? Faut-il avoir eu ou pas le Goncourt? Dois-je prouver que j'écris? Puis-je refiler les factures des dizaines de livres que j'ai achetés pour mener à bien des recherches qui n'ont mené à rien ? 

Personnellement, je veux bien percevoir toutes ces belles et bonnes choses que sont les avantages des intermittents (qui en chient, soyons clairs, et dont le statut est sans cesse menacé), mais que puis-je répondre à à un conseiller france-travail qui aura du mal à comprendre que quand je n'écris pas j'écris quand même? Comment lui expliquer que je veux toucher le chômage pour pouvoir exercer mon métier qui n'en est pas un? Comment lui expliquer que je fais travailler indirectement des milliers de gens mais ne touche qu'1% de ce qu'il me faut plusieurs années pour produire? Comment lui faire comprendre que je ne sais pas à l'avance si je vais pouvoir aller jusqu'au bout de mon livre? Comment lui expliquer que je peux passer dix ans sur un livre qui me rapportera dix euros? Je manque, comment dire, d'arguments. Et faut-il que france-emploi prenne en considération la qualité de ce qu'on écrit? La qualité?!!! Pitié. Autant faire croire qu'on est une star du porno parce qu'on aime quelqu'un.

Je pourrai toujours expliquer à la personne de france-travail que j'ai dû écrire en gros dans ma vie deux milliards de signes (chaque signe tapé au moins dix fois, effacé, retapé) et traduit grosso modo soixante milliards de signes, je doute que ça me donne le droit à deux jours de congé à Aubervilliers sous la pluie un dimanche férié. Pourtant, il faut imaginer un doigt se poser plus de soixante milliards de fois sur une petite touche d'ordinateur pour avoir des frissons, non? Non. Ah bon. Et je passe sous silence ce qui motive la répétition de ce geste, qui ne regarde sûrement par france-travail (bon qu'à ça etc, faut bien croûter.). Vous l'aurez compris, je suis optimiste mais pas au point de penser que la société me doit quoi que ce soit. Mais ne vous inquiétez pas pour moi. J'ai tout investi dans l'achat d'ordinateurs qui m'aident à continuer de n'avoir aucun droit.

Résumons. Voilà, c'est fait. Bonne chance. 

2 commentaires:

  1. Sans être optimiste au point de penser que la société te doit quoi que ce soit, tu es en droit d'être réaliste au point de demander les congés maladie/paternité ou la retraite, pour lesquels tu cotises à chaque rentrée de droits d'auteur. Personnellement, je me demande parfois dans quelle mesure l'écrivain est heureux de rester dans sa tour d'ivoire et de se persuader que le monde dehors refuse de le comprendre et que le Droit se plaît à l'oublier.

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  2. Il faut lire "Notre condition" d'Aurélien Catin, il explique très bien comment faire.

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