mardi 8 novembre 2022

Odoul, maître brun de la grammaire


Il n'y a pas à dire (mais disons-le quand même): l'extrême droite a le chic pour faire glisser le sens sur la patinoire des mots. Ainsi de Julien Odoul, ex-mannequin socialiste devenu porte-parole du Rassemblement national, qui dans deux tweets quasi simultanés s'amuse avec le mot "arme" comme s'il s'agissait d'un dé aux faces aussi aléatoires qu'innocentes. Dans le premier tweet, daté du 5 novembre, il écrit, reconnaissant: "Un immense merci à tous mes frères et sœurs d'armes du #RN qui m'ont élu au conseil national à la 5è place." Dans un grand souci paritaire, Odoul insère le mot "sœurs" dans l'expression "frères d'armes" afin de faire un peu oublier le parfum légionnaire de l'expression. Soit. Mais dans un tweet ultérieur, daté du 7 novembre, il se fend de cette déclaration un peu plus musclée: "Il reste un peu plus de 4 ans pour transformer le @RNational_off en une grande force populaire armée pour remporter l'élection présidentielle afin de rendre notre pays à son peuple." Une grande force populaire armée??!!! Vraiment? Mais non, vous avez mal lu, et si jamais on interrogeait l'intéressé, il vous répondrait qu'il n'a pas jamais parlé de "grande force populaire armée", mais d'une "grande force populaire" qui serait armée – au sens de "prête" – pour remporter l'élection présidentielle…

Bon, le fait qu'il ajoute dans la foulée que le but est de "rendre notre pays à son peuple", fait que l'adjectif "armée", mis en guirlande avec les mots "force"et "remporter", sent un peu la poudre. Mais c'est là justement le but, et tout ça est savamment (?) pesé. Il s'agit toujours de laisser entendre. Et si en outre on sort de la lecture de l'excellent livre d'Olivier Mannoni, Traduire Hitler, dans lequel ce dernier (Mannoni, pas Hitler, hein, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit…) démontre, si besoin était, comment le nazisme et, après lui, l'extrême droite, cherche à se placer gagnant d'abord dans le langage – ce qu'avait amplement souligné Klemperer en son temps –, eh bien on prendra soin de tendre l'oreille dès qu'un sbire d'obédience lepéniste ouvre son clapet. Ce qu'ils – ceux-qu'on-n'a-pas-le-droit-de-traiter-de-traiter-de-fachos – laissent entendre, entendons-le, et ne faisons pas comme s'ils n'avaient pas dit ce qu'ils ont dit. Car ce qu'ils ne peuvent pas dire – sous peine de poursuites –, ils s'abstiennent bien de le taire. 



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