mercredi 20 juillet 2022

Tristan Mertens: l'instinct des ricochets

Sans les éditions isabelle sauvage, il manquerait certainement quelque chose à la poésie contemporaine. Et la collection ‘présent (im)parfait’ est gage d’intenses rencontres. C’est le cas avec ce premier recueil de Tristan Mertens, intitulé lieu l’autre, un recueil dont la langue, parce que discrètement « déboitée » – suite à l’erre d’un je dans les plis d’une nature dont le secret peut-être est perdu – conserve une fluidité blessée. Les séquences sont brèves à la façon d’un souffle inquiet, soucieux de se ménager, le verbe tentant parfois de s’allier des évanescences (« je marche ma disparition), mais toujours pour revenir à quelque chose de carné (« moderne / au même crâne même / feu »), et parfois la phrase s’arrête, comme méfiante de tout élan (« la mer comme on quitte la mer / comme on //// retourne dans le papier »), préférant marquer un blanc (un hiatus ?) avant de resurgir autre, riche de cette apnée. Des poèmes de Tristan Mertens se dégage une sensation double : celle d’une voix venue poser des pierres grâces auxquelles traverser des gués de langue, celle d’une cadence ne voulant pas renoncer aux silences, aux brisures. Quand l’intime s’avance, c’est pétri d’une volonté de partage : Aujourd’hui tu reviens J’ai rangé sans trop savoir mes maladies mes amitiés mourantes le frein carnivore qui me consomme patiemment sans trop savoir pourquoi j’ai vu dans mon ventre tes ongles tes cheveux blancs ton sang profond la tristesse de préserver son cœur vu des idées des idées mauvaises des idées de moi – je veux te voir emporter tout Les vers font cascade, partagés entre désir d’absence (le mot « retiration », pris au vocabulaire de l’imprimerie, devient ici comme le pendant païen d’une dormition) et celui de vivre un ‘ensemble’ (« viens par moi derrière les lèvres / puiser ce qu’écarte le jour »). Une trajectoire, en cinquante pages, allant de l’ombre à peut-être la lumière. ___________________ Tristan Mertens, lieu l’autre, éditions isabelle sauvage, 14 €

 



2 commentaires:

  1. J'étais venue laisser un message à Claro sous son post le plus récent sans me soucier de n'avoir aucun rapport avec, comme un parasite, un squatter indélicat, un invité impoli... Et je me trouve happée par ce dernier article, et émue de ce que j'y découvre, la certitude de bientôt faire connaissance avec la poésie de Tristan Mertens.
    Merci.

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  2. Le message " squatter " à Claro :
    je comptais relire dans les jours prochains " La maison des feuilles " de Danielewski mais en français, traduction de Claro achetée il y a déjà quelques années mais j'attendais d'être poussée par une vraie nécessité pour ce faire, une nécessité qui invariablement vient faire signe du dehors de moi pour ces livres que je lis toujours au bon moment, jamais quand je viens de les acheter.

    Et voici qu'à la faveur d'une maladresse heureuse, ayant fait glisser des dossiers importants pour ma mère dans les arrière-fonds de sa bibliothèque je plonge ma main et involontairement fait remonter vers moi un livre :
    " La maison indigène ", offerte à la co-autrice de mes jours, le 27 juin 2020 pour son 82ème anniversaire (Inch'Allah !).
    " Haa ! Enfiiin ! Depuis le temps que je te le demande ! " (oui j'ai régulièrement envie/besoin de lire Claro).

    Hier j'ai pénétré au coeur de ce récit, commencé il y a quelques jours, et j'en suis bouleversée, presqu'autant qu'avec " CosmoZ " il y a 12ans (mon dieu, déjà ?!), juste différemment... Parceque les jeux et enjeux de l'auteur ne sont pas les mêmes, peut-être aussi de n'être plus " jeune " dans mes émois, élans, etc., mais pas complètement fossilisée non plus... La vague vient de plus loin, plus lame de fond qu'écume déferlante, et à vrai dire elle relève davantage de la roche visqueuse que de l'eau tourbillonnante, mais enfin c'est un mouvement profond, secret, vital, qui génère des ondes en écho auxquelles je ne m'attendais pas dans cette " Maison "-là. Je ne m'attendais à rien à vrai dire, juste à découvrir un nouveau Claro.

    Découvrir, c'est peu de le dire ! Et c'est une prouesse d'être à ce point fidèle à soi-même tout en se retournant comme un gant pour chasser les moindres résidus de complaisance stylistique, en interdire jusqu'à la tentation, et par ce mouvement même embarquer le lecteur, le laisser secoué, essoufflé, un peu " stone " et diantrement plus lucide tout ensemble.
    Un récit initiatique est toujours une cure de jouvence si on se donne la peine de suivre le guide dans ses méandres... Claro-chamane !

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