Macron & consorts semblent persuader qu’il suffit de hausser la voix pour faire baisser la mortalité. Qu’il suffit de verbaliser les gens comme s’ils étaient des voitures en effraction. Qu’il suffit de dire que tout est mis en œuvre pour masquer le fait que rien n’est accompli. Qu’il suffit de faire applaudir les soignants pour qu’on oublie qu’ils ont été saignés et matraqués. A cet égard, le « je ne laisserai pas dire » d’Edouard Philippe est une figure de style révélatrice : une figure de style qui ne serait plus que ça, l’arme rhétorique ultime d’une triste figure. Ne pas laisser dire : ça a de la gueule, hein, et ça fait toujours son petit effet de taper sur la table, même si, bon, la table, comment dire ? Où est-elle la table ? On l’a brûlé pour se réchauffer, chef. Ah ? Bon, pas grave, je tape quand même du poing. Dans le vide. Et tant pis pour ceux qui traverseront ce vide.
Derrière cette attitude pitoyablement bravache se cache un effrayant pari. Car le gouvernement a compris au moins une chose : la pandémie ne s’achèvera pas du jour au lendemain, on ne passera pas d’un monde confiné à une never-ending party, la messe des morts ne sera pas suivie pas d’insouciants flonflons. Ça ne sera pas la « Libération », les gens n’iront pas danser dans la rue et s’étreindre et s’embrasser et, éventuellement, secouer les grilles de l’Elysée. C’est précisément cette certitude qui permet à nos gouvernants d’en profiter pour tester notre servilité (et notre taux de mortalité). Pas de risque, en effet, que ça descende dans la rue, que ça proteste, que ça manifeste – le temps des gilets jaunes est fini, alors c’est pas des blouses blanches qui vont venir tout chambouler. Ils se disent, ils savent : Bon, on ne va pas passer du confinement maximal au lâcher de ballons ; le retour à la « normale » ne pourra de toute évidence que se faire par paliers – s’il se fait… Ça non, ces matamores doublés de manchots n’auront pas à redouter un déferlement populaire, une levée de boucliers, des jets de pierre. (Les forces de l’ordre y veilleront, comme elles ont veillé et veillent à taper sur tout ce qui bouge.) Oui, voilà sûrement ce qu’ils se disent, là-haut, entre deux injections de chloroquine perso : Bon, on a merdé, et merdé grave, ça commence à se voir, à se savoir, mais il suffit de hausser la voix, de faire applaudir les soignants, de se contredire un jour sur deux, d’envoyer les réfugiés dans les champs, de parquer les SDF, et ça passera, ou si ça passe mal, de toute façon personne ne viendra nous demander des comptes parce qu’on va desserrer la vis si lentement qu’il n’y aura pas de protestation de masse, on laissera sortir les gens au compte-goutte, et puis on jouera sur la bonne vieille solidarité, sur ce petit délire de cohésion nationale qui marche si bien chez nous, après tout ça a marché pour Johnny, Jean d’O, Charlie, etc., donc ça devrait marcher pour le virus, genre tous ensemble nous avons vaincu, etc.
Ouf, pensent-ils : Paris ne sera pas une fête. La France ne deviendra pas une grande rave. Il n’y aura pas de jour J. Pas de : « Et maintenant vous pouvez tous sortir de vos tanières ». Personne en assez grand nombre pour venir demander des comptes à ces irresponsables qui nous ont dit en grande pompe et dans leurs petits souliers : allons, ne renoncez pas aux terrasses mais attention, hein, n’allez pas manifester, et puis vous pouvez aller voter mais, oh, gaffe, n’allez pas défiler, oh et puis zut rester chez vous sinon c’est mille euros, oh et puis finalement allez travailler, oh et puis démerdez-vous, Pâques au balcon et le tison où vous savez.
J’imagine leur petite satisfaction intérieure, quand ils se disent : au moins, il n’y aura pas d’après, ce sera juste une très lente relaxation du maintenant, au pire on aura qu’à agiter le grand épouvantail du deuil national pour empêcher les mécontents de la ramener. On ne passera pas de l’état d’urgence à l’urgence de changer l’Etat, ouf. On baissera les amendes, le périmètre de jogging sera agrandi, les gens pourront entrer à deux puis trois puis quatre dans les boulangeries, les librairies lèveront de quelques centimètres par jour leur rideau de fer, on vendra deux fois moins cher le coffret dvd de Grey’s Anatomy, etc. On ne laissera pas dire, pas faire, pas penser, pas circuler – enfin, pas comme ça. Il faudra la jouer subtile. Humble. De toute façon, on va leur demander de redresser l’économie, alors ils auront autre chose à faire que nous chercher des noises…
J’imagine – aussi – leur étonnement si ça ne se passe pas tout à fait comme ça.