Ah les bons romans, c'est pas ce qui manque! ils sont légion, les bons romans, je veux dire les romans qui ont tout bon ou presque, à croire qu'ils reviennent du marché aux romans, tranquillement chargés d'une intrigue fruitée, d'un paquet de métaphores bien fraîches, avec, offert par le commerçant, tout un lot d'échantillons de phrases à utiliser dans les trois mois. Des romans honnêtes, capables de dépasser les trois cents pages tellement y a de choses à dire, tous publiés par des maisons honnêtes qui les diffusent avec encore plus de conviction qu'un aérosol. Des romans qui semblent avoir été écrits pour former des piles tant ils fonctionnent au poids des mots qu'ils accumulent sur leurs pages comme s'il n'y avait que ça à faire, bah, c'est l'hiver.
Prenez Comment vivre en héros ?, de Fabrice Humbert. Un bon roman, de toute évidence, on sent l'auteur à l'aise avec son histoire, qui est une bonne histoire, qui se raconte d'elle-même, comme si on promenait un miroir (avec un cadre pas trop cheap) au-dessus de l'histoire, avec ses personnages, de bons personnages, dotés d'une hauteur de couleur correcte, et d'un pack Libre-Arbitre©. Dans le cas de Comment vivre en héros ?, c'est plutôt bien fait – d'ailleurs, on a l'impression parfois que le "plutôt bien" est un genre littéraire à part entière, il devrait avoir un rayon consacré au "plutôt bien" dans les librairies, juste à côté du rayon "franchement correct", mais au final, eh bien, on pourrait tous les ranger dans le carton "à quoi bon". Dans le purgatoire des lieux communs.
Donc, c'est plutôt "bien", Comment vivre en héros ?, c'est l'histoire d'un gosse qui fait de la boxe (description, considération), sans grande conviction (état d'esprit, état d'âme), puis un jour se trouve lâche (situation, action), finalement il deviendra prof (comme l'auteur), mais le passé (les premières pages) le rattrape (les pages d'après). On lit sans avoir l'impression de lire, juste de dérouler un ruban qui pourrait durer des kilomètres, qui n'adhère à rien, et on se dit c'est donc ça un "bon roman"?, quelque chose comme le fils un peu ébouriffé du roman bourgeois, mais avec quasiment les mêmes fringues, la même allure, juste des jouets différents. On se demande : comment vivre en bon roman? Alors on lit de plus près, même s'il n'y a ici qu'une surface, et on voit toutes ces petites choses qui assurent la lisibilité, on voit l'émotion manufacturé ("une vague de peur submergea l'adolescent"), on voit le sentiment manufacturé ("cette honte [était] comme une tache indélébile"), on voit la femme manufacturée ("des taches de rousseur délicieuses", "l'attache de ses chevilles, qu'il trouvait d'un érotisme subtil"), et de nouveaux l'émotion manufacturée ("Ses sentiments le submergeaient, il sentait en lui un immense océans d'émotions" – il a été marin ou quoi, Humbert?). Il y a aussi du sexe, attention éloignez les adultes et les dents :
"Et alors ils s'embrassèrent, sans savoir trop comment, leurs lèvres soudain jointes […] deux lèvres qui embrassaient les siennes." (p.29)
Et puis il y a tous ces petits coquillages achetés sur catalogue qui décorent la plage de la phrase: le "silence effaré" le "brouhaha général", un type qui "entre en trombe dans la salle", et bien sûr "l'aplomb" est "déconcertant", bien sûr "l'air" est "désapprobateur", bien sûr la "dignité" est "offusquée", bien sûr le "sourire" est un "sourire d'encouragement", et toujours ce trop aquatique: la "mer d'indifférence" d'une classe d'élèves, mais aussi "la mer noire des banlieues". Parfois, ça cale:
"Tristan ne savait pas quoi répondre. […] il avait tellement honte qu'il ne savait quoi dire. Il n'y avait pas de mots."
Heureusement c'est reparti: "impulsion subite", "étrange appréhension", "quiétude rassurante", "yeux voluptueux" (la propriétaire desdits yeux est libanaise…), "baiser langoureux", "air désapprobateur", "grognement sourd". Collier de nouilles, j'ai envie de dire. Heureusement il y a la météo:
"Il faisait encore frais en ce mois d'avril mais le soleil brillait avec éclat de jour-là".
Voilà, c'est ça, un bon roman, quelque chose qui prend les mots comme ils viennent, avec en laisse leur adjectif familier, et pour le reste, si on a un peu d'idées, ça va tout seul, ça se passe bien, ça passe bien. Ça semble résister à tout, un peu comme un des personnages, une dénommée Séverine, dont on nous précise heureusement:
"[…] elle avait épuisé tous les clichés et elle avait succombé à certains […]."
Pour une fois, c'est le roman qui ne sort pas indemne de sa lecture. Ça change, tiens.
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Fabrice Humbert, Comment vivre en héros ?, Gallimard, 21,50 €