Vingt minutes de silence paraît après soixante-deux ans d’indifférence
ou presque. Décidément, on n’en finit pas de découvrir Hélène Bessette, celle
dont Marguerite Duras disait : « La littérature vivante, pour moi, c’est
Hélène Bessette, personne d’autre en France. » Miracle de la transhumance
et permanence de l’obstination, après la résurrection bessettienne menée à bien
par Laure Limongi entre 2006 et 2011 dans la défunte collection Laureli, c’est
au tour des éditions Attila, dans leur succulente collection « Othello »
d’annoncer, ni plus ni moins, la publication de l’œuvre intégrale de celle que
ses lecteurs et lectrices appellent désormais, en leur sein bouleversé, B7.
Paru en 1955 chez Gallimard, ce
texte, le troisième publié, a dû en déconcerter plus d’un – on est au seul du
Nouveau Roman, à l’orée de Beckett, encore en marge de Claude Simon, et
pourtant on est déjà au-delà, ou plutôt presque ailleurs, en un lieu improbable
où Duras elle-même ne s’aventure guère. On est déjà dans ce que je me
permettrais d’appeler la « détextation ».
Le récit s’est pris en grippe
mais jouit de la fièvre qu’il en retire. Plutôt que de détricoter ou d’exploser,
Bessette va inoculer une métrique libre, voire libertaire, dans la narration,
et inventer la théâtralité de l’écriture narrative. Dans Vingt minutes de silence, comme dans presque la plupart de ses
textes, elle expérimente « en live », pour ainsi dire – tant le
lecteur a l’impression que ses livres s’écrivent sous ses yeux – la mise en
scène du récit. Plutôt, donc, que de raconter, comme ses mâles contemporains,
elle va remplacer le dire par le commenter, et faire du commentaire une diction.
Mais quel commentaire ! Ici, nulle glose, pas de critique harnachée, non,
ici on est en proie à une rafale frénétiquement et soigneusement cadencée d’interrogations,
de doutes, de contradictions, d’échappées musicales, d’apnées morales. La pensée
devient didascalique, le chœur s’est réfugié en coulisse et l’histoire nous
parvient sous forme de flèches, de fulgurances, cruauté et compassion mêlées.
C’est comme si Bessette créait de
toutes pièces une sorte de médecine légale narrative, mais en faisant de l’autopsie
la véritable scène du crime. Ça tombe bien, car dans Vingt minutes de silence elle s’empare d’un quasi fait divers – un
fils de bourgeois tue son père avec l’éventuelle assentiment de sa mère sous l’œil
vaguement consentant de la bonne –, et le traite à la façon d’une Agatha
Christie épileptique. Correction : ce n’est pas celle qui raconte qui
souffre d’épilepsie, mais le récit lui-même : ici, la phrase décroche sans
cesse, elle s’interrompt, bondit, se piétine, se nie, se moque. Les instances
narratives se bousculent. Les points de vue se télescopent. Et, miracle de
cette cuisine du diable, le texte acquiert une clarté qui, si elle s’enivre de sa
propension à se fragmenter, n’a de cesse de nous éblouir de ses brutales
intuitions.
Un fils a tué son père, peut-être
aidé par sa mère ? Soulevant et déplaçant cet argument de départ, Hélène
Bessette, usant de sa technique furieuse comme d’une machine à démonter le temps,
livre ici un réquisitoire éclaté contre l’idée de vérité telle que l’ont
machinée le roman bourgeois et la bourgeoise romanesque. Sur l’espace délivré
de la page, elle orchestre les interprétations, jette sa pluie de sel sur les
plaies conventionnelles, traque le dernier affect dans l’ultime terrier
psychologique. Elle défait tout en même temps qu’elle innove, à blanc, à sec. A
même la sidération d’un dire qui a renoncé à sa véracité, elle impose la folie de
sa machine poétique, qui consiste, on l’a dit, pressenti, à détexter la représentation.
Hormis sa
volonté d’orchestrer le disparate, son texte s’apparente, si l’on veut le
cousiner, à la version livre du Théorème
de Pasolini – un espace à la fois critique et post-religieux où la description
d’un drame devient le drame de toute description.
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Hélène Bessette, Vingt minutes de silence, coll. Othello,
éditions le Nouvel Attila
Merci à Claro pour l'information, merci à Othello et aux éditions Attila, on va se ruer dessus vite fait tant qu'il en reste en stock !
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