On me reproche parfois, dans mon
traitement de la chose littéraire, de me livrer à des jugements à l’emporte-pièce, à des critiques gratuites, voire de céder
au quolibet au détriment de l’analyse
rigoureuse, et je dois bien avouer qu’il y a une part de vrai là-dedans,
tant la tentation de railler plutôt que de décortiquer est grande. Il urgeait
donc de renoncer à la facilité des moqueries pour s’engager sur l’ardu sentier
de la critique argumentée (mais bon, faudrait pas non plus que ça devienne une
habitude, hein).
Nous allons donc nous pencher
vaillamment sur un petit bijou mal ciselé, une œuvrette modeste par la taille
quoiqu’ambitieuse par le propos, je veux parler du nouveau roman de Florian
Zeller, La Jouissance, sous-titré non
sans panache « un roman européen ». Nous passerons assez rapidement
sur l’histoire narrée, cette dernière étant visiblement calquée sur deux
millions de livres déjà existants. Jugez par vous-même : Nicolas et
Pauline se rencontrent, s’aiment, emménagent, conçoivent, déménagent,
s’engueulent, se trompent, accouchent, se quittent. La banale orthodoxie du
propos ne doit pas cependant nous amener à rejeter ce livre. Il ne s’agit là
que d’une trame, usée, certes, voire patinée, mais bon, la littérature en a vu
d’autre. Afin de pallier le rachitisme diégétique de son histoire, Florian
Zeller double celui-ci d’une réflexion audacieuse sur la construction de
l’Europe. Il va s’agir en effet d’établir un parallèle entre l’évolution du
couple Pauline-Nicolas et les nations européennes. Au prix d’une alternance un
peu artificielle, certes, mais qui ici passe pour un trait de génie, les
chapitres vont donc imposer au lecteur une valse à deux temps, le faire passer
d’un récit dénué du moindre intérêt à des réflexions dépourvues de la moindre
profondeur. Le calvaire, on le voit, est donc dédoublé. Car le procédé, qui ne
procède que d’une intuition puérile – comme les pays, nous sommes en crise… –,
est purement mécanique et ne
laisse au roman de Zeller pas d’autre issue que le plantage souverain. Mais
n’ayons pas la dent trop dure : la chair entamée est bien assez
filandreuse comme ça. Etudions plutôt les divers éléments de ce roman qui en
font un possible équivalent littéraire du cultissime navet de BHL, Le Jour et la Nuit.
Tout d’abord, les personnages.
Nicolas est scénariste (un peu comme Zeller est romancier), Pauline travaille
dans le cosmétique (elle évolue donc dans la sphère des apparences). Bref, il
crée (sans succès), elle maquille (sans panache). A quoi ressemblent-ils ?
On ne le sait pas, car Zeller est assez avare en description, ce qu’on aurait
mauvaise grâce de lui reprocher, les subtilités physionomiques étant
vraisemblablement des vieilles lunes. On sait seulement qu’ils ont la trentaine
et vivent en ville. Là, premier problème. On l’a dit, il s’agit un « roman
européen ». Donc, chaque fois qu’une ville (ou un nom propre) est
mentionnée figure aussitôt entre parenthèses le pays correspondant.
Exemple : « une rétrospective de Bergman (Suède) » [p.
28] ; « Beethoven (Autriche) a une œuvre quantitativement très
importante » [p.30]. Les cas
similaires abondent (et finissent par créer un effet assez scolaire et risible,
mais n’insistons pas). En revanche, on omet de préciser au lecteur dans quelle
ville française habite le jeune couple. On sait juste au début que Pauline
habite dans un « petit appartement de la rue des Tournelles ». Paris
n’est pas mentionné. Cela doit aller de soi. Plus tard, il sera question de
Montparnasse, de Chaillot et de La Rotonde. Ouf. La rue des Tournelles était
donc bien à Paris (France). On en aurait dû s’en douter (Evidence).
Mais revenons à Nicolas et
Pimprenelle, euh, pardon, Pauline. Nous aimerions tant arriver à nous en faire
une image mentale. La chose est heureusement possible, non pas grâce au talent
descriptif de Zeller (qui ne sait ni dessiner ni colorier) mais grâce à son
sens incroyablement nuancé de la didascalie. En effet, au fil des pages et des
sentiments, le lecteur peut assister aux diverses expressions qui empruntent
les visages des deux protagonistes. Il s’agit essentiellement– non :
uniquement – d’airs et de sourires. Pauline et Nicolas tiennent
des propos (comme d’autres tiennent une pelle à tarte) mais toujours en
adoptant un air ou un sourire particuliers, afin qu’on puisse mieux se les
représenter et surtout sentir la couleur précise du propos qu’ils (telle une
pelle à tarte) tiennent. Donc, dans l’ordre, nous avons, et ce
exhaustivement : un « petit air ironique » (p.13), « un
sourire faussement surpris » (p.16), « un air sombre » (p.29),
une « humeur sombre » (p. 29 + p. 173), un « petit sourire
ironique » (p. 54), un « sourire faussement surpris » (p. 63),
un « sourire embarrassé » (p. 72), un « sourire tendre »
(p. 75), un « sourire amusé mais perplexe » (p. 76), un
« sourire muet » (p. 120 – et là je demanderai au lecteur un tant
soit peu doué de bien vouloir tenter d’exécuter ce « sourire muet »
devant le miroir…), un « faux air sérieux » (p. 163), un « sourire
teinté d’inquiétude » (p. 164), un « sourire appuyé » (p. 177)
et enfin un « air étonné » (p. 202). On déplorera l’absence de « l’air tendre et souriant
mais faussement embarrassé », qui aurait permis de conclure en beauté.
Je veux bien que Florian Zeller
aime le théâtre de boulevard, pour lequel il écrit régulièrement des pensums
teintés d’inquiétude, mais croit-il vraiment qu’il existe des lecteurs-acteurs
suffisamment acrobates pour se livrer à pareille gymnastique du front et des
zygomatiques ? Enfin bon, il y a sans doute une raison à ce nuancier. C’est
peut-être une façon de nous faire comprendre que, l’air de rien, ce roman
traite du vide. Mais laissons-là ces pantins aux rictus alambiqués et
penchons-nous sur le fond, pour ne pas dire l’abîme.
Le roman de Zeller, ainsi que
nous l’avons expliqué, est avant tout un ouvrage à visée comparative, un
travail de réflexion sur l’histoire et la politique européennes, sur la société
contemporaine et ses inexorables évolutions. Le lecteur aura donc droit à des
considérations profondes, ce que j’appellerai ici des « pensées
parachutes » (PP), lesquelles permettent au récit de ne pas s’écraser trop
brutalement sur le terrain de sa propre inanité. Le problème, c’est qu’il n’est
pas sûr que lesdits parachutes s’ouvrent vraiment (ni à temps). Zeller a bien
quelques idées sur le monde d’aujourd’hui (et d’hier) mais, comment dire ?
ses PP ressemblent étrangement à des champignons : plus on est au ras des
pâquerettes, plus on en voit. Qu’on en juge d’après le florilège, hélas quasi
exhaustif là aussi, que voici :
• (sur la vie) — « Nicolas va mourir un jour, et ce jour approche
inexorablement » p. 11 (on retrouve d’ailleurs cette fulgurance dans le
précédent livre de Foenkinos)
• (sur la vie, bis) — « Mais tout homme a ses faiblesses »
p.12 (on suppose que cette découverte explique en partie le besoin qu’a eu
Zeller d’écrire ce livre)
• (sur la rencontre amoureuse) — « les explications purement
chimiques [des] sentiments [ne suffisent pas] à expliquer une rencontre. Un
accord plus profond est nécessaire. » p. 26 (il me semble avoir déjà lu
cette phrase dans un numéro d’octobre 2006 de Biba…)
• (sur l’enfance) — « Cette étrange maladie qu’on appelle
l’enfance » p. 27. Ici, le lecteur aura reconnu, différemment assaisonné,
la grande phrase de l’immense poète Jean Ferrat : « L’enfance est une
maladie dont on ne guérit jamais »).
• (sur la guerre) — « ‘Verdun’, ce seul mot fait frémir
d’horreur. C’est une des batailles les plus inhumaines auxquelles on se soit
livré. » p. 61 — la pertinence du propos laisse songeur, mais il est
tellement frappé du sceau du bon sens qu’il perd un peu de sa puissance
visionnaire…
• (sur les téléphones portables) — « Le monde a radicalement
changé à partir du moment où les gens se sont équipé en téléphones
portables » P. 98, commentaire assorti de la non moins percutante
conclusion : « Le XXIème siècle n’a pas commencé le 11 septembre
2001, comme on l’entend souvent dire et comme les livres d’histoire le
suggéreront probablement, mais au moment précis où, les uns après les autres,
nous sommes entrés dans un magasin de téléphonie pour acheter notre premier
portable. » p. 99 (et là, on a envie de dire : « Sturm und
dring ! », mais bon…)
• (sur le religieux) — « une cathédrale se visite comme on
visiterait un temple grec ou une pyramide égyptienne : ce n’était plus un
lieu de culte, mais un lieu de visite » p. 129-130 (du coup, on comprend
mieux l’essor du religieux dans les pays autres que la Grèce et l’Egypte…)
• (sur le parallèle Histoire/Individu) — « De même que l’Histoire
d’un pays est jalonnée de dates censées nous renvoyer à des événements
déterminants de son évolution, celle d’un individu est une route jalonnée de
bornes socialement identifiables qui permettent de situer cet individu dans sa
propre histoire. » (Vous commenterez ce propos en vous appuyant sur des
exemples précis tirés de l’histoire européenne ou de votre propre expérience,
vous avez quarante-cinq minutes.)
• (sur le relativisme des valeurs) — « comment savoir dans notre
vie d’aujourd’hui ce qui demain nous semblera sans importance, insignifiant, et
peut-être même digne d’être oublié ? » p. 156 (Eh bien la réponse est
simple, pour une fois : il suffit de lire le roman de Zeller.)
• (sur la vie en général) — « ‘La vie est tellement courte’, se
surprend-il à dire à voix haute. » p. 157 — On aura bien sûr repéré ici
une allusion en creux au célèbre vers de TS Eliot, « life is very
long ». A moins qu’il s’agisse d’une citation déguisée d’un propos de
Jean-Pierre Pernaud.
• (sur Hitler sauvé de la noyade l’âge de quatre ans par un certain Johann
Kuehberger) — « Que se serait-il passé si l’enfant avait péri ce
jour-là ? L’Europe aurait probablement connu un destin moins
tragique. » (Là, je pense qu’on atteint des sommets de clairvoyance
historique que rien ne saurait dépasser, et j’engage le lecteur à customiser
cette déduction ô combien perspicace en remplaçant le nom de Hitler par un
autre de son choix : Napoléon, Staline, etc…)
On s’en rend compte à la lecture
des exemples susmentionnés, Zeller n’est pas à proprement parler un penseur de
premier plan. Il doit s’en douter un petit peu, car il émaille son texte
d’anecdotes concernant des figures littéraires ou artistiques, persuadé qu’en
citant Cioran ou Breton, il parviendra, à force de botox citationnel, à étoffer
un peu les formes anorexiques de son roman. Nous aurons ainsi droit à des
apparitions de Sartre, Breton, Leiris, Ionesco, Littell, Godard, Kubrick et
Beethoven. Eh oui, comme dans toute dissertation en trois parties qui se
respecte, on est tenu de donner des exemples et d’y aller de quelques propos
rapportés. Je laisse au lecteur le plaisir de découvrir quel usage Zeller fait
de ces créateurs mais je peux déjà lui révéler qu’il apprendra que Beethoven
était sourd et que Ionesco était tragique.
Parvenu à ce stade de l’analyse,
on peine à convaincre le lecteur qu’il peut y avoir une raison de perdre son
temps à ouvrir le livre de Florian Zeller, si ce n’est pour se taper sur les
cuisses de rire. On se dit que, peut-être, l’inanité du propos (un couple
merde) et le crétinisme de la démonstration (l’Europe merde aussi) seront rachetés
par l’inventivité de l’écriture. Hélas, comme on l’a déjà subodoré, Zeller
n’est pas à proprement parler un styliste d’exception. Il succombe rarement au pouvoir de
« l’image » (sans doute une vieille lune, là aussi) et quand il le
fait, ma foi, voilà ce que ça donne (je précise qu’on trouvera ci-après la
quasi intégralité des tentatives de Zeller en matière d’image ou de métaphore) :
• « pris dans les
filets de l’émotion » p. 25
• « chaque être, à la façon
d’une mauvaise herbe, pousse comme il peut et, bien souvent, dans le
désordre » (les lecteurs ayant réussi à visualiser une herbe qui pousse
dans le désordre doivent impérativement subir un test de dépistage afin de
vérifier qu’ils n’ont pas ingéré de psilocybine…)
• « le silence
assourdissant » (p. 47) (faut-il commenter ? je ne le crois pas…)
• « le manteau gris du
boulevard Montparnasse » (p. 63) — voilà une image qui nous rappelle que
Maurice Carême is not dead
• « Mais à peine a-t-il
franchi la porte que les pleurs reviennent comme un torrent inépuisable »
p. 204 (image qui, bizarrement, en suscite une autre : celle d’une chasse
qu’on tire…)
• « forçant le coffre de ses
paupières », p. 117 — Zeller a dû rêver à un moment d’embrasser la
carrière d’ophtalmo cambrioleur.
et enfin :
• « sa peau est douce comme
un peu de soleil dans l’eau froide » (cette figure de style doit avoir un
nom, mais il nous échappe pour l’heure, comme un goujon entre des mains
d’huile)
Finalement, on se dit qu’il vaut
mieux que Zeller ne s’essaie pas trop à l’image. D’autant plus que quand il le
fait en parlant de choses sexuelles (cf . l’inénarrable sodomie des pages 32-33),
ça donne ça :
« Jusque-là, malgré
l’attirance qu’il avait pour ce petit cercle rosé, il ne s’en était pas
vraiment approché. […] Le petit orifice brillait comme une étoile noire. »
(Bon, là, je pense que Zeller a eu un problème de palette, et qu’il s’est un
peu emmêlé les pinceaux avec les couleurs, mais n’enculons pas les mouches. Le
style a ses raisons que la raison ne connaît pas, comme disait Zarathoustra ou
Pierre Perret.
Le style ? Parlons-en. On
trouvera, sans trop se pencher, une « ambiance électrique », des
« pulsions meurtrières ». On verra son personnage « reste[r]
songeur un long moment » ou avoir le « souffle rauque », et sentir
même « le vent de l’aventure soufflant partout autour d’elle ». On
assistera même à une scène étrange, comme lorsque son personnage « se lève
du café » (buvait-il la tasse ?). Ne lui jetons pas la pierre,
l’éponge suffira. Il faut bien que les lieux communs puissent s’égailler
quelque part. Mais il arrive également que Zeller oublie de se relire et nous
offre des perles, comme celles-ci :
« elle a l’impression
qu’elle va pouvoir […] retoucher au frisson de la première fois et achever
enfin de se souvenir » p. 55
ou encore :
« Nicolas lui promet qu’il
ne s’est rien passé et qu’elle doit d’abord l’écouter avant de tout de suite
partir dans des interprétations tendancieuses » p. 100 (Ouch ! il lui promet qu’elle doit
l’écouter ? Mazette…)
ou le pompon :
« Si nous pouvions à cet
instant nous faufiler sous ses paupières, nous entendrions sûrement […] ces
mêmes questions. » p. 183 – là encore, le spectre de l’ophtalmo
cambrioleur rôde…
Mais s’il fallait vraiment mettre
le doigt sur la blessure du bât, c’est dans la spécificité même du texte de
Zeller que nous devrions la chercher, à savoir le mode interrogatif. En effet,
voici un roman qui fonctionne essentiellement sur la question. Malgré ses
chétives deux cents pages, le texte comptabilise près de quatre cent quinze
questions. Certaines figurent il est vrai, de façon assez naturelle, dans les
dialogues. Il est après tout normal qu’un personnage pose une question quand il
s’adresse à un autre personnage. Mais bon, là, ça prend des proportions
inquiétantes, puisque chacun répond à une question par une autre question. D’autant
plus que les questions volent aussi bas que des hirondelles n’ayant jamais
entendu parler du printemps. Exemple :
« Qu’est-ce que tu veux dire ?
– Je veux dire que les ennuis
commencent souvent au moment où il y a de l’argent. Tu ne crois
pas ? »
Et, trois lignes plus loin :
« L’amour ? Quel est le
rapport ?
– Le rapport, c’est que […], tu
ne crois pas ? »
Ou encore, p.65 :
« Tu ne crois pas en
l’amour ? C’est triste…
– Pourquoi ? »
Ou, pire, p. 71 :
« Tu crois que les hommes
pensent comme ça ?
– Tu ne crois pas,
toi ? »
[…]
– Qu’est-ce que tu en penses,
toi ?
– Moi ? »
Mais aussi :
« Quelque chose ne va
pas ?
– A ton avis ? »
Et :
« Ah bon ? Du
genre ?
– Tu veux voir ? »
S’il n’y avait que ce perpétuel
dialogue de sourds, passe encore, mais chez Zeller la question est
omniprésente, on la trouve à tous les niveaux : existentiel, narrative,
historique, etc. Quatre cents quinze points d’interrogation, comme autant
d’hameçons échoués dans le désert du récit… et bien souvent (ne nous plaignons
pas) sans réponses, comme si à chaque page l’auteur, comprenant qu’il n’a rien
à dire, s’ingéniait à dégager des énigmes, des problématiques et des
interrogations (sans intérêt, hélas), une façon sans doute subtile (ah ah ah)
d’entamer le dialogue avec le lecteur – ce qu’on appelle, en littérature et
dans les rafles : interpeller. Genre : je me pose des questions que
peut-être vous avez oublié de vous poser. Ensemble interrogeons-nous. Essayons
d’aller plus loin que le nulle part.
Cet acharnement contrapuntique à
sauver n’importe quel énoncé par une dosette interrogative est si systématique
et débilitant qu’il en devient stupéfiant. Mais il n’y a pas que les personnages
pour se poser en permanence des questions, il y a aussi l’auteur, qui
intervient régulièrement pour nous faire part de ses lumineuses perplexités
quant à l’histoire de l’humanité. Un auteur qui dit « je » dès que
ses « il » et « elle » pédalent dans la choucroute. Un
auteur qui se permet, en outre (et ici « en outre » est à prendre au
sens littéral concret), des commentaires, y va de ses appréciations sur ses
personnages ou sur tel ou tel propos tenu par une des sommités racolées :
« Je les trouve beaux » (p. 41) ; « J’adore ce petit
mot » (p. 43) ; « Je trouve cette association
merveilleuse » (p. 127), « J’aime l’idée que l’on puisse dire
(…) » (p. 131). A ce niveau de fausse candeur et de franche ineptie, le
lecteur reste pantois, et assiste éberlué à la scène finale qui voit l’auteur suivre
des yeux son personnage qui s’éloigne sur un boulevard !
Mais c’est très certainement à la
fin du livre, dans la pénultième page, que l’auteur, conscient de son immense foirage,
y va de son petit couplet confessionnel, lâchant comme sans le faire exprès,
dirait-on, cet aveu sans doute truqué :
« Mais je ne sais plus très
bien ce que je raconte ; des images se succèdent dans ma tête, elles se
superposent les unes aux autres et finissent ensemble par composer une petite
symphonie bizarre dont je ne maîtrise plus ni le tempo ni le thème
final. »
Une petite symphonie
bizarre ? Hum, comment dire… ? Beethoven était sans doute sourd, mais
il ne fait aucun doute que Zeller est aveugle, pour ne pas s’apercevoir qu’il
rate tout, systématiquement, et ce dans les grandes largeurs. Est-ce parce
qu’il a cru qu’en tissant un parallèle potache entre les nations et le couple
il faisait preuve d’originalité ? Le projet n’était pas vain en soi, et
aurait pu donner, malgré le didactisme de la démonstration, quelque chose de
vaguement opérant (dans un concours agricole, par exemple). Mais pour cela il
aurait fallu que l’auteur maîtrise un tant soit peu la langue. Or il est
incapable d’accoucher d’autre chose que d’un sous-Harlequin mâtiné du Dictionnaire des citations et du Livre des anecdotes édifiantes, et
préfère confectionner un pathétique petit récit pseudo-naturaliste qu’il
saupoudre de considérations frôlant le grotesque. A croire que Zeller a
contraint à copuler les titres de ses précédents livres (Les amants du n’importe quoi + La
fascination du pire) afin qu’en naisse, au terme d’un travail de deux cents
pages, péniblement expulsé par le petit cercle rosé du livre (ou par l’étoile
noire de la lecture ?), cette malencontreuse « jouissance », qui
porte si mal son nom, alors que celui de « tache » aurait largement
suffi à ses nano-ambitions.
En guise de conclusion, je me
contenterai de signaler que, dans les épreuves du livre, à la table des
matières, figure une coquille révélatrice, puisque la première partie y est
intitulée « l’hymne à la foie ».
On me reproche parfois, dans mon
traitement de la chose littéraire, de me livrer à des jugements à l’emporte-pièce, à des critiques gratuites, voire de céder
au quolibet au détriment de l’analyse
rigoureuse, et je dois bien avouer qu’il y a une part de vrai là-dedans,
tant la tentation de railler plutôt que de décortiquer est grande. Mais bon,
comme vous avez pu le constater, quand on décortique, eh bien, les choses ne
s’arrangent guère…