On ne va pas revenir sur ces histoires de plagiats, qui sont la tarte à la crème de la critique littéraire – qui, franchement, a déjà mangé une tarte à la crème? C'est un peu comme le cas Céline, éternellement scindé en deux positions antagoniques mais inextricablement liées. Non c'est pas beau de copier MAIS oui la littérature a toujours pillé. Le seul intérêt dans la démarche, floue, forcément floue, du plagiat, étant la suivante: pourquoi copier? Dans quelle démarche créatrice s'inscrit le transplantage? La question n'est pas légale, on s'en doute, mais technique. On ne juge pas le plagiaire à sa discrétion ou à ses sources. Il sait ce qu'il fait. Il sait si c'est une nécessité inventive ou une paresse intellectuelle. Laissons-lui le bénéfice du rire ou de la honte. Donc, non, ne revenons pas sur la tarte et encore moins sur la crème — mais lisons ce texte passionnant de William Burroughs sorti en traduction fin août de cette année et intitulé Le Temps des assassins.
Publié par Mona Lisait, Books Factory Collection (et dénichable, donc, dans les librairies Mona Lisait), traduit par Lucien Suel, Le Temps des assassins est un court texte de 14 pages dans lequel Burroughs appelle au pillage, mais pas seulement littéraire, mettant sur le même plan tout ce qui sollicite les sens. L'écrivain est une machine enregistreuse, des phrases lues ici et là traînent en lui, qu'il replante au gré de ses progressions, quand le texte appelle l'extériorité (de l'intérieur). Sous sa rhétorique en apparence provoc ("allez-y franchement et plagiez en toute liberté"), l'auteur du Festin nu s'interroge en fait sur la validité de ce qu'on appelle "ses propres mots" et sur ce qu'il appelle "le fétiche de l'originalité" (!). Vision de l'écrivain en "voleur inspiré et sacré", las de "l'ego stérile et péremptoire".
Mais c'est surtout le prétexte pour Burroughs à une passionnante digression sur l'enseignement de l'écriture, la passation du savoir-faire, le bien-fondé de la démarche créatrice. Après avoir rappelé la condition suivante:
"[…] rappelez-vous: la renommée ne se mange pas. Et vous ne pouvez écrire que si vous voulez écrire et vous ne pouvez vouloir que si vous le ressentez vraiment."
Burroughs laisse son texte partir en vrille, ou plutôt en rhizome, démontrant royalement qu'il dit ce qu'il fait et fait ce qu'il dit, et soulignant au passage le seul point digne de considération:
"Dans [l]es autres professions, vous pouvez toujours faire semblant. Par contre, si vous écrivez sans y croire, vous ne produirez que de la merde."
Et le voilà qui ausculte son désir d'être Délégué à l'Assainissement pour la ville de St Louis (?). On dira qu'il s'éloigne de son sujet, qu'il botte en touche. On lira surtout dans ce qu'il fait la réponse libre d'un écrivain qui sait que nos mots ne sont pas nos mots tant qu'on ne les a pas découpés (méthode du cut-up), délocaliser (greffe), et surtout tant qu'on n'a pas identifié en eux le virus mis au point par les docteurs de la langue, ces singes glabres.
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William S. Burroughs, Le Temps des assassins, traduit de l'américain par Lucien Suel, éd. Mona Lisait, Books Factory Collection, 8 euros
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