vendredi 12 septembre 2008

L'escroc et l'illisible

Heureusement que les critiques sont là pour remettre les pendules à l'heure. Ainsi, dans Marianne, un article de deux pages vient nous ouvrir les yeux: l'ouvrage de Vollmann – Pourquoi êtes-vous pauvres? – est, ni plus ni moins, "l'escroquerie de cette rentrée"! On y apprend que Vollmann fait preuve d'une "condescendance rétrograde", d' "indifférence", de "haine contenue" envers les pauvres. Il y est question de son "pragmatisme de pacotille", de son "post-tiers-mondisme", de ses "généralité douteuses", d'un "enchaînement d'aberrations", bref, de "terrible gâchis". Que répondre à ces "critiques" qui, finalement, relèvent plutôt de l'insulte que de la fine analyse? Que répondre à l'accusation de "relents de chronique coloniale"? L'indépendance de ton de Vollmann, sa puissance d'empathie, son humanité et ses connaissances sont sans cesse démontrées dans tous ses livres. Pourquoi une telle mauvaise foi, alors, dans cet article? Oh, la réponse est très simple: Vollmann nuance, il ne condamne jamais, il doute, il met en perspective. Il ironise, aussi, car la pitié n'est pas son arme. On ne trouvera jamais chez lui ce fiel que déverse avec une haine nullement contenue l'auteur de l'article. On a bien sûr le droit de critiquer la démarche de Vollmann et ses analyses, mais la peur de l'islamisme justifie-t-elle qu'on vomisse ainsi sur un écrivain qui, pourtant, ne saurait être soupçonnable de prôner le colonialisme? Il est grave de parler de "nausée" à la lecture d'un livre. Heureusement qu'il s'agit là d'un phénomène physiologique que ne procure jamais la presse…

Enfin, cerise sur le gâteau, un article paru dans Le Point nous informe que le roman de Thomas Pynchon, Contre-jour, "même s'il est largement acheté rumeur aidant, ne sera probablement lu que par l'auteur lui-même, son […] traducteur, Claro, et une poignée d'inconditionnels". D'où jaillit cette prescience? Nous ne le saurons jamais. En tout cas, l'auteur de l'article affirme s'être imposé la lecture intégrale du roman, c'est donc avec plaisir que nous l'acceptons dans ce cercle riquiqui de happy few. Le cercle de ceux qui lisent et aiment "des écrivains pour personne", qui lisent et aiment "des livres qu'on ne lit pas, mais dont on parle".

Résumons: Vollmann est un escroc à la solde du colonialisme et Pynchon a écrit un livre lourd et long. Je schématise, bien sûr, mais peut-être qu'ainsi on me proposera des piges dans un journal…


9 commentaires:

  1. Impossible, Claro, vous avez trop d'humour !

    PS : merci pour la soirée Pynchon d'hier. Je fais partie désormais de ce cercle riquiqui : j'ai commencé à lire Contre-jour en rentrant.

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  2. "rumeur aidant" ? Quelle rumeur ? Quelqu'un peut-il m'éclairer, fyou please ?
    Welcome aboard, Anne-Sophie !
    Ah et puis je vois avec plaisir que bobo a tiqué comme moi sur Latchoz Anssoy...
    Mais je n'arrive pas à dire si Latchoz est davantage Kant...qu'autre chose.
    Mais voila-t-y pas que je retombe dans le happy few ? Rooo, pas bien.
    M'en fous, même pas honte !

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  3. C'est dingue, ces gens qui sont payés pour écrire et qui ne savent pas même lire.
    Contre-Jour est un livre absolument énorme, et magnifiquement traduit, soit dit en passant... Comme équivalent, au niveau sensation de lecture, je ne vois guère qu'Ada ou l'Ardeur, dans ma pauvre culture.
    Toutes mes félicitations, Claro, c'est incroyable ce que tu as fait.

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  4. Lorsque j'ai lu l'article de Marianne, j'ai été plutôt stupéfiée. Attendant le livre de Vollmann avec impatience (comme j'attends son livre sur la violence), je me suis dis : "Me serais-je trompée sur les propos de l'homme dont l'esprit ouvert sur l'autre m'avait sacrément enthousiasmée lors d'interview radiophoniques ? Me serais-je leurrée sur ses mots en lisant ses articles ?" Mince alors. Sans parler de ses romans. Bon, le lecteur est seul juge, 'ce pas ?
    Je me suis donc précipitée comme prévu pour acheter le livre.
    J'ai par ailleurs entamé le nouveau Pynchon et ne compte pas tomber du livre avant le point final.

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  5. Je me demande, de toute façon, ce que l'on pouvait bien attendre de "l'appareil critique" français dans son ensemble; ça ne m'étonne même pas. Le contraire, un type du Monde, du Nouvel-Obs ou d'un autre torchon qui se serait mit à lire (vraiment LIRE) Vollmann ou Pynchon comme il faut, ça... ça, ça m'aurait fait mal au c***l! Mais là... c'est malheureusement la triste mélopée habituelle. Encore heureux qu'ils n'aient pas traité Pynchon de crypto-stalinien!

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  6. Le problème du livre de Vollmann c'est qu'il est très critique des solutions politiques clé sur porte et qu'il ne propose pas d'alternative: il sait que ça ne marchera pas mieux. De plus, c'est un rapport au monde qu'il a lui en tant qu'un individu alors qu'en France et bien sûr dans le torchon que tu cites, on ne voit ça qu'en terme de phénomène collectif à régler collectivement. Et quand cette optique n'est pas défendue, on sort les crocs. Pathétique.

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  7. C'est vrai que l'article est consternant...
    espérons qu'il ne s'agisse pas du même Michel Schneider, celui des Morts imaginaires, de Marilyn dernière séance et autre Glenn Gould.
    L'article est lisible sur le site du magazine, ce que je propose c'est d'aller leur pourir le site pour leur prouver que nous existons, nous lecteurs de Pynchon.

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  8. Je crois bien, cher Bustos qu'il s'agit du Michel Scneider dont tu parles...comme quoi

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  9. c'est une honte, je leur ai laissé un message d'indignation et ils me l'ont à moitié censuré.
    Toutefois je vais enquêter pour ce Schneider, parce que ça me fous en l'air!

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