C'est la rentrée littéraire. Raison de plus pour vous parler de Vivarium, de Tanguy Viel, paru en mars dernier, livre libre et subtilement bipolaire, qui laisse osciller la pensée entre les chemins de l'écriture et les couleurs de la ville, entre une réflexion sur la fabrique de la phrase et l'esprit en proie aux éléments (mer, pluie, rayon de soleil). D'une intelligence éprise de fragilité, la pensée de Viel se livre à des pas chassés avec la forme: l'heure n'est plus au récit, mais au récitatif, et l'auteur forge des images d'une magie impeccable, comme ce passage où le temps ployé se voit offrir une architecture:
"[…] on ne saurait non plus penser les jours sans leur voisinage immédiat, comme autant de voussoirs dont la courbure forme l'arc semainier sous lequel se tenir." (p.15)
Mais ce qui, d'emblée, a retenu mon attention en lisant ce livre, c'est sa parenté avec certains propos de Roland Barthes, tels qu'énoncés dans La préparation du roman, son dernier grand "livre". Une parenté, qu'on devine d'abord, en filigrane, en croisant les mots suivants: "qui ferait se tuiler sans cesse les ondes", "ce fondu des choses", "le respect du tremblé", "le grain des jours", "son étrange matité" – une façon sensible, quasi chimique, d'approcher le réel. Cette parenté, je l'entends également entre ce que Viel écrit au début de Vivarium, juste après avoir cité T. S. Eliot, lequel parle "du milieu de la vie" comme point de bascule pour un écrivain:
"Voici donc qu'avec les années une forme plus pacifiée d'écriture se fait jour: effet de coups de boutoir donnés trente ans durant, ou bien destin biologique, l'urgence à narrer, parce que satisfaite en partie, tombe ou mollit. […] Je doute que ce soit sans heurts ni retours".
Certes, le mouvement envisagé par Barthes est inverse, puisqu'il songe à se lancer dans le fleuve du roman, mais l'idée d'un basculement "nel mezzo del cammin", était déjà la point d'entrée (et sans doute d'orgue) de La préparation du roman, ce cours magistralement orchestré où Barthes, après avoir justement cité l'incipit de Dante, offre la réflexion suivante:
" […] un moment vient où ce qu'on a fait, ce qu'on a écrit (les travaux et les pratiques passées) apparaît comme un matériau répété, c'est-à-dire comme un matériau ou une activité voué à la répétition et à la lassitude de la répétition."
Et plus loin, ceci:
"Changer, donner un contenu à la 'secousse' du milieu de la vie […]."
Si pour Barthes, la tentation est venue de bifurquer et d'aborder une forme autre que celle du réflexif, en partie suite à un deuil, pour Viel, il s'agit d'éprouver une écriture autre, qu'il qualifie dans un premier temps d'horizontale. Est-ce à dire une écriture assagie, en phase avec les travaux et les jours, confié à un déroulé soi-disant quiet? Vivarium témoigne pourtant non d'un aplanissement du dire, mais bien au contraire d'une autre façon de traiter la trame complexe du réel, une autre façon d'en rapporter et le mystère et la violence, qui n'est pas, dans son extrême liberté avec les formes, sans rappeler la prose d'un Gustave Roud. (Barthes et Roud sont par ailleurs cités dans le livre de Viel.)
Autant dire qu'on sera de plus en plus à l'affût de tout ce qu'écrira Viel maintenant qu'est franchi ce gué tout sauf rassurant.
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Tanguy Viel, Vivarium, Les éditions de Minuit, 18 €
Roland Barthes, La Préparation du roman, Cours au Collège de France (1978-1979 et 1979-1980), Editions du Seuil / Points Essais, 14,50€
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