Une photo inédite de Rimbaud? Shazam ! Nous voilà aussitôt pris entre divers sentiments: la surprise, ou l'étonnement, ou la joie, voire l'indifférence, mais aussi le doute (est-ce bien lui? comment s'en assurer?). Faut-il y croire ou ne pas y croire? On le voit bien, c'est une pure question de foi. Nous sommes tellement habitués aux photos, et au fait qu'elles ne disent pas forcément la vérité mais semblent néanmoins la proclamer, qu'il nous est impossible, voire inutile, d'aller au-delà des apparences. A quoi bon traverser la surface de cette photo? Il nous suffit de décréter que oui, c'est bien Rimbaud que nous voyons, puisque nous ne connaissons qu'à peine son visage, à travers d'imprécises photos et la peinture. Comme pour Lautréamont, nous sommes depuis longtemps frustrés de sa personne, pour la bonne raison que la photo existe à leur époque (on n'est pas frustrés de ne pas connaître le vrai visage de Homère). Nous avons l'œuvre et il nous manque l'homme, l'homme concret. Qu'importe alors que cette photo nouvellement découverte soit celle de Rimbaud ou de quelqu'un lui ressemblant, comme on a pu le lire. Qu'est-ce que ressembler à quelqu'un dont on ignore quasiment le visage? Et si l'on finit par prouver que c'est bien lui, Rimbaud, qu'est-ce que ça changera? Si l'on apprend que ce n'est pas lui, qu'est-ce que ça changera, là encore?
En fait, l'apparition de cette photo relève essentiellement de… l'apparition. Près d'un siècle et demi après la disparition de la réalité-Rimbaud, seul un fantôme peut encore endosser sa forme. Car nous savons très bien que si demain nous découvrions un album contenant mille photos de Rimbaud, nous ne serions pas plus proches de lui. Mais une apparition, elle, non seulement fait appel à la foi mais relève également du miracle. Ce qui nous fascine dans le surgissement de cette image lointaine, c'est son caractère improbable, donc miraculeux. Comme si le poète lui-même avait traversé les décennies pour venir faire signe? Mais signe de quoi? Qu'il avait bel et bien forme humaine, visage humain? Là encore, on comprend que la quasi absence de représentation opère comme une forme de "défiguration". La sur-médiatisation des visages des écrivains depuis l'invention de la photo ont rendue encore plus frustrante cette sensation de défiguration. Nous avions l'ange mais il nous manquait sa gueule.
Le je-Rimbaud de la photo est-il un autre? La faute au violon si jamais il fût bois.