La pièce de théâtre "L'amour de l'art" se joue au Théâtre de la Bastille jusqu'au 20 janvier et si vous avez la chance d'y aller aujourd'hui ou demain, alors autant vous prévenir: Vous allez assister à une conférence sur la peinture, en particulier sur des natures mortes. Deux guides vont vous expliquer ce qui se joue dans des tableaux classiques, vous dévoiler le message du peintre, ses intentions, etc. Non, je plaisante: ça c'est ce qui aurait dû se passer si nos deux guides ne souffraient pas d'une pléthore de "rétroversions" qui les empêchent de mener à bien leur tâche. C'est quoi, une rétroversion (du bassin, de la langue, des yeux, des globes cérébraux, de la confiance, de la mémoire…)? L'inclinaison en arrière d'un organe selon son axe vertical? Oui, bon, ici, c'est plutôt le dérapage d'une intention selon son axe délirant. Non seulement nos deux guides s'épuisent en précautions oratoires avant de se lancer dans leur conférence, au prix d'un running-gag élevant la procrastination au rang de sport paralympique, mais quand enfin ils s'essaient à l'exégèse de certains tableaux, nous sommes tellement pliés en deux de rire qu'il semble qu'à notre tour nous voilà en proie à une rétroversion mentale.
Stéphanie Aflalo, qui a conçu cette conférence débridée, et joue l'un des deux guides – ensemble rouge la transformant en un pétard sans cesse sur le point d'exploser – est proprement hallucinante: regard traversé d'arrière-pensées folles, corps avide de dérapage, parole éprise de déraillements, elle dynamite les commentaires hilarants qu'elle déploie avec, au fil de la pièce, de plus en plus d'intensité. Se moque-t-on ici de l'art, de l'amour aveugle et sourd de l'art, des pièges de l'exégèse? Sans doute faut-il s'imaginer assis dans la salle entre Thomas Bernard et Buster Keaton: dans cette pièce, en effet, on digresse comme on respire, et tout semble fuir comme suite à un facétieux et systématique sabotage. Autopsie du ridicule garantie, et décadrage à la machette.
Si le titre de la pièce renvoie au livre de Bourdieu et Darbel, sa conception, elle, nous emmène hors des sentiers rebattus et, entre stand-up et fausse conférence, démonte aussi bien le regard professionnel sur la peinture que la nature parfois morte de la scénographie: et au final c'est le public qui se retrouve encadré, décalé, éclaté par ces deux guides de plus en plus azimuthés. L'art n'était pas du cochon, mais on s'est bien fait équarrir de rire.
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L'amour de l'art, au Théâtre de la Bastille jusqu'au 20 janvier. Conception; Stéphanie Aflalo; Ecriture et jeu: Stéphanie Aflalo et Antoine Thiollier. Spectacle produit par: les Divins animaux - Fanny Paulhan. Toutes les infos ici:
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