Est-ce une tentative d'épuisement du sujet? Une spectroscopie délirante? Un état des lieux implacable de qui l'on se sait pas? Le fait est que Paraboles, le nouveau livre de Boris Wolowiec, n'y va pas de main morte pour ce qui est de définir un "il" aussi anonyme que singulier (quoique multiple). En 300 pages, toute psychologie bannie, nous est décrit, inventorié, disséqué et recréé un "il" que seule la langue parvient à faire tenir dans une multitude de paragraphes, à force d'énoncés inquiétants – je veux dire des énoncés qui inquiètent la langue.
"Quand il parle sa bouche mange sa langue. Et quand il écoute parler sa langue mange sa bouche." (p.133)
"Son espoir est identique à sa naissance. C'est la raison pour laquelle sa pitié est meurtrière." (p. 109)
Il est, il croit, il devient, il fait, il pense, il prétend: les verbes s'accrochent à ce "il" et le vouent à toutes sortes d'actions et de pensées, de convictions et de refus, au détriment bienvenu d'un sens qui ferait de ce "il" un homme parmi d'autres. Le texte de Wolowiec, pourrait-on dire, fonctionne telle une machine délirante engagée dans un processus en apparence inépuisable. Il est en cela d'une impeccable cruauté poétique, qui ne s'épargne pas l'humour ("Sa stupidité est si sophistiquée qu'il désire psychanalyser les océans, les volcans et les déserts", p.183) et traite le corps à la façon d'un monstre de parole organique.
Vies et morts, gestes et croyances, fonctions et ruses, raisons et illusions, naissances et crimes : le "il" qu'exp(l)ose à chaque page Wolowiec finit par être un continent de strates inconjugables, en perpétuelle métamorphose, un cabaret inouï d'allégations aussi équivoques qu'impossibles, un chantier hypnotique où tous les affects ont droit de cité, chaque atome du texte conspirant à une invisible déflagration: "Il a avalé une bombe comme un œuf. C'est pourquoi raconter l'histoire de sa vie lui semble désormais inutile" (p. 149).
Homme à tout défaire plutôt qu'à tout faire, déjà-mort et sans cesse rené, le "il" qui sature ces trois cents pages n'est pas un nouveau Monsieur Plume ni un énième Innommable. Il est la somme incomplétée de possibles générés par une langue qui n'a plus rien à perdre.
"Il s'est suicidé en se pendant au souvenir de son cordon ombilical" (p.180)
Mais ça c'est le milieu, pas la fin.
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Boris Wolowiec, Paraboles, éditions Les Météores, 15€