Photo Tim Wouters |
Ils sont deux sur scène, assis sur des tabourets face au public et on sent déjà qu'en additionnant leurs solitudes ils ont rejoint à la famille des disparus, déjà on devine en eux Vladimir et Estragon, Laurel et Hardy, voire Dante et Virgile réunis après une longue amnésie.
Je suis le vent, la pièce de Jon Fosse mise en scène par les collectifs TG Stan et Discordia, avance à la manière d'un dialogue socratique dont le questionnement central aurait été escamoté, progresse par cercles concentriques qui tantôt s'approchent d'un trou noir – un des personnages a fait quelque chose, finalement –, tantôt s'en éloignent – ne sommes-nous pas bien, en mer, la vie n'est-elle pas agréable, loin de tout? A force d'interrogations, de tâtonnements, des choses sont dites, des peurs exprimées – par des images: je suis un mur de béton, je suis une pierre qui coule. Puis les images, les choses dites, sont remises en question – j'ai dit ceci et cela, mais ce n'était que des mots. Bien sûr, l'ombre beckettienne plane tout au long de cette confrontation, renforcée par le dénuement de la mise en scène. Mais cette fois-ci, on n'attend même plus Godot. Peut-être s'agit-il tout simplement de dire à quel point disparaître est un point d'équilibre improbable entre vivre et mourir. A quel point disparaître est une boucle sans fin – naviguer, accoster, naviguer encore. Comme si la mort était antérieure, et qu'une fois le pas franchi on devait se débrouiller avec les limbes.
Deux acteurs flamands formidables, l'un qui n'hésite pas à cabotiner, persuadé d'être ambassadeur de la vie, l'autre qui ne cesse de visiter l'art de la noyade, cerné par le vide des mots. L'un relativise, à l'abri du déni; l'autre préférerait-ne-pas, conscient d'être passé de l'autre côté. Le texte, lui, dit la gravité – au sens physique – de persister au monde, opposant le silence de la dérive (éloge de la fuite?) à la fissuration de l'être (devenir-béton?). Si nous sommes si lourds, pourquoi ne pas couler une bonne fois pour toutes puis, une fois échoués dans l'Ailleurs, oublier que nous avons renoncé à vivre? C'est tragique, donc drôle, à l'instar de cette vidéo projetée à la fin du spectacle, où l'on voit Laurel et Hardy se débattre lentement, peut-être suffoquer, seuls, deux, seuls, deux…
Je suis le vent
Texte Jon Fosse
De et avec Damiaan De Schrijver et Matthias de Koning
Traduction en néerlandais Maaike Van Rijn, Damiaan De Schrijver, Matthias de Koning
Traduction en français Terje Sinding
Costumes Elisabeth Michiels
Régie Tim Wouters
Production tg STAN et Maatschappij Discordia
Durée : 55 minutes
Théâtre de la Bastille, Paris
du 4 au 26 juin 2021