Le narrateur retrouve, des années plus tard, un certain Benoit, qui semble avoir décollé du plancher, un drôle de type qui est en ligne directe avec dieu, et tant qu'à faire avec les morts. Benoit ne fait que retranscrire ces échanges avec les au-delà, tout juste s'il mange, à peine s'il boit. Le narrateur, lui, bosse chez Leroy-Merlin, et essaie de garder la forme en fumant sur un rocher face à la mer (on est à Marseille). Les deux passent du temps ensemble, mais ce n'est pas non plus on se tape dans le dos, on se dit tout. Non. Ici, ne compte que ce qui n'est pas dit, ou dit entre les parenthèses d'une possible psychose. Et tout le sel du récit réside dans l'effet de balançoire entre le récit du narrateur, qui n'est pas franchement rompu à la chose écrite, et l'introspective aventure que vit le saint Benoit, intercesseur des morts. Car le narrateur, lui, ne sait pas écrire. Et pourtant c'est son écriture qui nous retient, car Arno Calleja, plutôt que d'adopter une maladroite oralité écrite, a opté pour un style privé de virgule et pourtant doté de souffle, quelque chose d'habilement bégayant, de subtilement redondant, au prix d'une syntaxe savamment boitillée:
"Je ne pouvais pas décrire ma pensée en une phrase de pensée. Je ne pouvais décrire que des choses vécues et descriptibles de ma journée dans une phrase inintéressante mais que je me forçais pourtant de noter dans mon cahier."
Le narrateur est prévenant. Il s'obstine. Il assiste, écoute, supporte. Benoit, lui, végète dans les nues de son spiritisme abscons. Un équilibre est atteint, qui ne peut durer. Le récit nécessite une fêlure: ça tombe bien, voilà qu'une fuite, partie de chez Benoit, traverse transperce réveille les étages en dessous. Réparer? Le lecteur a compris que la réparation n'était pas à l'ordre du jour, ni de la nuit. L'échange des fluides entre Benoit et le narrateur étant faussée d'emblée, ce qui se produit au niveau des canalisations ne saurait apporter de solution. De l'eau fuit, certes, mais dans quel sens? Où va le récit? Monte-t-il vers l'innommé ou descend-il vers le peu de réalité?
En moins de cent pages, Arno Calleja, sans effet de manche, en tenant la note juste, nous entraîne dans un sillage qui devient fêlure. Benoit est-il l'émissaire de dieu? Croit-on vraiment qu'un récit puisse répondre à cela. Autre chose est en jeu. La folie est contamination, mais jusqu'où?
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Arno Calleja, La mesure de la joie en centimètres, éditions vanloo, 14 €
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