© André Masson |
Quantifiable, repérable, sujet aux mutations, le "cela" dont il est ici question et fait usage peut être tour à tout "un magnolia", des "choses, événements", "un âne qui brame"; cela peut aussi "prendre à la gorge", "un tremblement". Si Albarracin se joue de l'indéterminé, ce n'est pas par pure dérision. Son "cela", aussi métamorphique soit-il, est tout sauf un "n'importe quoi", et texte après texte la lecture finit par affiner en creux l'intelligence du cela:
"Cela n'a pas de nom. Cela n'a pas de réalité. Cela est ce qui n'ayant ni nom ni réalité nomme et réalise. C'est cela qui fait cela que tout est. Que tout est cela. Qui fait de ceci cela et de cela cela. Cela est comme une force qui se reçoit. Sitôt cela est, sitôt il est cela."
Le poème, s'il semble ici revêtir la langue philosophique, n'en reste pas à l'effet rhétorique. Le "cela" n'est pas prétexte: il devient le texte, sa matière même, et les analogies convoquées pour le rendre prégnant cessent d'être des analogies, de sorte que l'objet occupe le devant du texte, à la fois concret et abstrait:
"C'est la bouteille qui dresse l'eau dans un provisoire carcan, qui la tisse et la tresse en une forme potable, saisissable. C'est la bouteille quand elle construit la cabane de l'eau sur la table. C'est la bouteille qui tourne l'eau ainsi qu'un potier de l'eau. C'est cela aujourd'hui cela: la bouteille qui contient l'eau et la retient et l'empêche."
Empêcher l'eau: projet poétique, ou plutôt :: pratique poétique. Cela même. Surtout cela.
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Laurent Albarracin, Cela, éd. Rougerie, 2016
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