Vous dites auteur, ça passe. Auteure, ça passe encore. Autrice, ça coince. Plein de gens trouvent ça moche, et surtout le disent. Bien. C'est cool de s'exprimer, surtout depuis que les citoyens à qui on ne demandait rien sont devenus des internautes persuadés d'être consultés sur tout. Bon, j'avoue, "autrice", ça fait bizarre. Mais la question qu'il faut peut-être se poser, c'est : pourquoi? Oui, parce que, très sincèrement, "actrice", en revanche, ça ne me gêne pas. Pourquoi ça ne me gêne pas? Parce qu'on m'y a habitué. Me suis-je habitué à d'autres mots nouveaux? Ma foi, je crois. Est-ce que je pense que je vais avoir du mal avec "autrice"? Peut-être. Et alors? Me suis-je souvent plaint des mots nouveaux? J'ai accepté sans sourciller "gérer" pour remplacer le mot "vivre", donc ça veut dire que je m'adapte, non?
Ce qui est intéressant dans les réactions observées, c'est l'absence de réflexion. Autrice, c'est moche; actrice, c'est normal. On passe du c au u, les gars, pas du CO2. Calmos. Demandez-vous plutôt pourquoi votre oreille, à défaut d'être absolue, est aussi sensible. Pourquoi le son nouveau ne passe-t-il pas? Vous pensez vraiment que c'est une question harmonique, phonique? Ce qui est inquiétant, c'est que l'on trouve ça choquant. Car ça l'est – comme tout mot nouveau. Mais qu'autrice fasse se lever autant de boucliers là où actrice coule de source, voilà qui devrait nous obliger à un minimum de réflexion quant à la façon dont nous entérinons les sons, et, derrière ces sons, leur réalité. Il serait intéressant de savoir quand le mot acteur a été entériné, et quand le mot actrice (ça date de Molière…). Y a-t-il eu des gens, au début, pour tiquer devant ce "actrice" qu'on employait auparavant pour désigner pour désigner "celle qui joue un rôle dans une affaire", ce qui en dit long, non? Et auteresse, ça vous gênerait ? Allons, vous vous êtes pourtant habitué à doctoresse, et enchanteresse ne vous gêne plus depuis un bail. Archiduchesse, je n'en parle même pas.
La langue nous parle. Elle nous parle d'elle, de nous, de qui nous sommes, de ce qui nous fait peur, de ce que nous cherchons à exclure. La langue aime l'immobilisme parce que nous ne voulons pas que certaines choses changent, et pourtant la langue est prompte à toutes les métamorphoses. Derrière le mot "actrice" paradent – apparemment – des belles femmes, comme on dit. Dans l'imaginaire imposé, en tout cas. Les femmes auteures devraient-elles se changer en pin-up pour qu'on leur concède le droit d'être appelées autrices? Mais peut-être ne veulent-elles pas qu'on leur concède quoi que ce soit. Car c'est bien là que le bât blesse. Et il va falloir beaucoup d'imagination aux hommes pour comprendre que les femmes ne piétinent pas dans la quête transie de leur approbation.