Un groupe de Roms à Asperg, en Allemagne, rassemblés par les autorités du Reich pour être déportés, le 22 mai 1940. |
Née en Autriche au sein d’une famille rom, Ceija Stojka –
écrivaine, peintre et musicienne – est morte en 2013 à l’âge de 80 ans. Mais
une autre Ceija était morte en elle il y a bien longtemps : la fillette de
onze ans, celle qui dut passer plusieurs mois début 1945 dans le camp de
Bergen-Belsen.
Raconter ces quatre mois, c’est ce qu’elle fait dans un livre,
née d’une série d’entretiens avec la cinéaste Karin Berger. Intitulé Le rêve que je vis ? Libérée de Bergen-Belsen et n’excédant
pas cent pages, ce témoignage permet d’entrevoir l’étendue de l’horreur que vécut la
jeune Ceija – une horreur individuelle et collective, qu'elle a encore la force de restituer en partie, près de soixante-dix plus tard.
Il y a les morts, les
monceaux de morts, les empilements de cadavres où l’enfant trouve refuge contre le froid et les coups, entre lesquels elle doit se glisser pour survivre, des
morts qu’elle arrange, dont elle ferme les yeux, à qui elle parle, auxquels elle prélève de minuscules
bouts de laine – sa seule nourriture ou presque, puisqu’elle mange aussi de la
terre, le cuir des lacets, du bois, de vieux chiffons. Pour boire, la bouche se
colle aux barbelés, d’où finit par tomber une goutte de brume. Parfois, un
miracle : un arbrisseau. L’écorce est pain, la sève miel. Et toujours,
tout autour, les morts :
« C’était nos protecteurs et ils étaient humains. Des gens qu’on avait connus. Mais ceux qu’on n’avait pas connus, on disait aussi qu’ils étaient des nôtres. Ce sont les nôtres et on n’est pas seuls. On était pas seuls aussi parce qu’il y avait tellement d’âmes qui virevoltaient autour. »
Le camp sera libéré en avril 45. Un soldat britannique demande
à l’enfant de lui désigner le SS qui l’a maltraitée, et propose à l’enfant de se
venger. Ceija refuse.
« C’est curieux, mais moi j’avais aussi de la peine pour les nazis. C’était des êtres humains après tout. »
Après tout :
ces deux mots sont chargés ici d’une dimension presque aussi indicible que le
cauchemar dont ils sont échappés. Qu’on ait lu un ou cent textes dits de « littérature
concentrationnaire », le témoignage de Ceija Stojka traverse et déchire l’esprit
du lecteur, le mettant au défi de ne pas comprendre « comment c’était ». L'invitant à autre chose que le ressentiment.
*
Au souvenir, surtout. On estime que pendant la seconde guerre mondiale, près de la moitié de la population tsigane fut exterminée. L'Allemagne a reconnu sa responsabilité dans leur massacre en 1982. Le Parlement européen, qui ne reconnaît pas le génocide rom, l'a néanmoins commémoré il y a six ans lors d'une session plénière. En France, on les expulse régulièrement et Le Front National ne perd pas une occasion de les montrer du doigt.
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Ceija Stojka, Le rêve
que je vis ? Libérée de Bergen-Belsen, traduit de l’allemand (Autriche)
par Sabine Macher, avec la collaboration de Xavier Marchand, éditions Isabelle
Sauvage, 17 €
Je vais bientôt rentrer à Paris et j’achèterai ces deux livres, le premier qui parle de "C’est comme si la mort avait tout ravagé de la langue" et puis celui-ci où : cadavres, après tout, ressentiment, souvenir...Des livres pour mon deuil
RépondreSupprimerMerci Claro !
RépondreSupprimerImpressionnante force d'âme de Ceija Stojka, enfant et adulte, et l'empathie qu'elle parvient à éprouver pour les Nazis bouleverse encore un peu plus.
RépondreSupprimerMerci Claro, de donner à lire ces quelques extraits et de nous inviter au souvenir. Grâce à ce post, je pense à eux en ce 24 avril.
D.