samedi 5 juin 2010

Disneyschwitz (sur Le ParK, de Bruce Bégout)


Il fallait bien qu'un jour un écrivain rende palpable, architecturalement parlant, l'ultime ParadoX: la fusion du parc d'attraction et du camp d'internement. Qu'à l'attraction se mêle, comme révélée, la répulsion. Si l'histoire du vingtième siècle se confond avec le règne du barbelé, si le summum du divertissement rejoint, dans son acmé hideuse, l'exhibition des internés, alors la fiction crypto-ethnographique que signe Bégout permet d'envisager, de façon complexe et dynamique, via le fantasme d'une ménagerie/ghettoland, le sens profond du Mal, à savoir une impure volonté d'extériorisation. Le parc, le camp, une fois brouillées les frontières tapageuses, forment un organisme dans lequel évoluer, avec pour seul tabou le jugement moral.
Bégout a donc imaginé, sur une île privée située au large de Bornéo, un ParK. Mais ce "lieu original" ne recèle nul singe géant, ni King ni Kong, car ce n'est pas Skull Island (en dépit du crâne en bronze signé Jérôme Durand qui figure en couverture), c'est un cauchemar point trop climatisé, où délire forain et contrôle panoptique se donnent la main, où la devise semble être "divertir et punir". Car, comme l'explique le narrateur "objectif" de ce guide/traité:

Que serait devenue l'espèce humaine sans ses parcs? […] Le parcage a été la planche de salut des hommes vulnérables et sans défense, la prothèse réparatrice.

Certes, il est fait état d'un certain malaise, ressenti par certains visiteurs, à voir se côtoyer majorettes et Sonderkommando, à observer des pythons dévorer des cols blancs, à entendre des fanfares au fond du stalag… Mais la direction du ParK veille au grain, et on imagine aisément combien il est facile de passer du statut de voyeur à celui d'exhibé. On comprend qu'on soit gêné en franchissant les portes d'un hôtel-casino portant le nom de Todeskampf I…
Bégout nous décrit donc par le menu l'architecture des lieux, la nature des attractions, les risques et les dysfonctionnements, les mesures de surveillance, la qualité des prestations, la teneur trans-historique des pavillons, et crée ainsi une horreur hyper-foraine placée sous l'ombre de Ballard, et qu'ont dû irriguer les réflexions d'un Mike Davis ou le travail critique d'un Virilio.
Ni parabole ni métaphore, mais simple logique de la concentration/exhibition poussée dans ses pas si improbables paroxysmes, Le ParK met en scène l'ordinaire exacerbé à travers le prisme d'un fun concentrationnaire a priori insoutenable et grotesque mais présenté comme une tumeur inévitable:
Le ParK n'est cependant pas un simple miroir du futur, il s'apparente plutôt à une galerie vivante de tableaux barbares autour desquels gravite, sans trop se poser de question, un public avide d'émotions allègres et moroses.

"Sans trop se poser de question": Bégout, lui, les pose, les dispose, les explose aussi. Et fait de nous d'étranges visiteurs inattendus.
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Bruce Bégout, Le ParK, éditions Allia, 6,10€

3 commentaires:

  1. Ding Dong daddy From Diddy Wah Diddy10 juin 2010 à 11:59

    Et l'épisode de F. Köpler dans G'sR, c'était quoi?

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  2. La seule chose qui compte est que le camp soit la figure incontournable de notre urbanité.
    {…} le monde où nous vivrons ressemblera vaguement à Disneyland ou bien à Auschwitz.
    Un Disneyland gore, un Auschwitz fun.
    Une émulsion de deux.
    Une sorte de Futuroscope.
    L'important étant que nous ne puissions pas en sortir.
    Même en rêve.

    Frédéric Roux. Hyperman (bourin éditeur), 2006

    http://pagesperso-orange.fr/Red-Dog/

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