Oubliez les lettres à un jeune poète, insuffisamment timbrées, d'un certain Rilke. Et lisez plutôt les "quelques conseils aux écrivains en herbe", disponibles sur le site officiel de Bernard Werber, auteur d'épopées hyménoptèriques et de de réflexions niou hedge. Des conseils, il en donne vingt-sept, même si on aurait bien aimé en lire vingt-huit, mais aujourd'hui (et sûrement demain) nous n'en retiendrons qu'un, le numéro 11, parce qu'il est révélateur d'un cynisme dont on n'ose imaginer l'équivalent en politique. Outre la haine de la forme, à laquelle on va finir par s'habituer, ce conseil prône un utilitarisme confondant, affiché sans complexe, et sous-tendu par une forme de joie, une joie née d'une réflexion simple: la langue ça fait chier quand même. Je n'ai rien contre Werber et ses fourmis ne me démangent guère. Je lui sais même gré d'assumer cette real-politik: au moins, c'est clair. Le problème c'est que je doute que les grands écrivains populaires comme Eugène Sue, Paul Féval etc. auraient eu l'aplomb (et le besoin) d'aller aussi loin dans le ressentiment déguisé envers la langue, le style, l'écriture. Donc, lisons en frémissant – fourmis dans les yeux… – ce onzième conseil, qu'on évitera de prendre pour un commandement:
"Beaucoup de romanciers surtout en France, font du joli pour le joli. Ils enfilent les phrases tarabiscotées avec des mots de vocabulaire qu'il faut chercher dans le dictionnaire comme on enfile des perles pour faire un collier. Cela fait juste un tas de jolis phrases. Pas un livre. Ils feraient mieux d'être poètes. Au moins c'est plus clair. Toute scène doit avoir une raison d'être autre que décorative. Le public n'a pas (n'a plus?) la patience de lire des descriptions de paysages de plusieurs pages ou il ne se passe rien, ni des dialogues sans informations qui n'en finissent pas. La forme ne peut pas être une finalité, la forme soutien le fond. Il faut d'abord avoir une bonne histoire ensuite à l'intérieur on peut aménager des zones décoratives, mais sans abuser de la patience du lecteur."
Voilà. Tout est dit. Ça se passe presque de commentaire. Pour écrire de bons livres, il faut anticiper la demande du lecteur, lecteur qui a bien changé et qu'on ne va pas emmerder avec de pénibles descriptions de pension Vauquer, soyons sérieux un instant. C'est au final assez neuh-neuh, plutôt inoffensif, globalement pathétique, et très… werberien. Et oui: nous ferions mieux d'être poètes. Quant à monsieur Bernard, qu'il évite effectivement les jolies phrases. Elles n'y gagneraient rien.
Ainsi les poètes font des phrases, et pas des livres? Et le romancier est une DATAR du littéraire, qui amenage des "zones decoratives"? J'en reste baba...
RépondreSupprimerJ'adore ses "zones décoratives". J'imagine qu'il met un panneau à l'entrée : "Attention : zone décorative." On pourrait aussi les imprimer en rose, ou en vert fluo, les zones déco ; comme ça le lecteur pourrait les sauter. C'est vrai, quoi, il a pas que à faire, le lecteur ; il bosse, lui !
RépondreSupprimer"arranger des zones décoratives", ça fait pas du tout bricoleur. On dirait moi qui parle de changer une douille ("détouiller le machin électrique avec la ptite vis")
RépondreSupprimerCelui-là est pas mal non plus:
RépondreSupprimer"Les lecteurs ont souvent des journées fatigantes, ils lisent pour se détendre, donc il faut penser à ne pas les ennuyer. Pour cela, alterner les scènes d'actions et de dialogues. Mettre le maximum de coup de théâtre inattendues. Ne pas oublier que la lecture est un plaisir et que l'objectif n'est pas que le lecteur se dise que l'auteur est doué; il doit se dire "mais qu'est-ce qui va arriver à la scène suivante"?"
"Ils enfilent les phrases tarabiscotées avec des mots de vocabulaire qu'il faut chercher dans le dictionnaire comme on enfile des perles pour faire un collier."
RépondreSupprimerQuestion 1: Qu'est-ce qu'un "mot de vocabulaire"?
Question 1 bis: Qu'est-ce qu'un mot n'appartenant pas à cette catégorie?
Question 2: Expliquez comment l'auteur parvient malgré lui à comparer "chercher dans le dictionnaire" à "enfile[r] des perles".
Question 3: D'après vous, l'auteur se prend les pieds dans cette phrase parce qu'elle est:
a) trop tarabiscotée
b) insuffisamment tarabiscotée
Avec la méthode de Werber on finirait par lire ce genre de critique littéraire:
RépondreSupprimerJ'ai lu Guerre et paix en une heure. Ça se passe en Russie.(Woody Allen)
Encore un qui fait fi des salubres recommandations de Boris Vian, pour qui un bon pédagogue n'est pas censé faire la classe pour les cancres ; le public à qui on propose une œuvre de qualité sera nécessairement conquis. (Préface d'En avant la zizique... et par ici les gros sous)
RépondreSupprimerPour rebondir sur les propos de Gwenolé, il n'y a pas de danger, en lisant Werber, qu'on pense que l'auteur est doué.
RépondreSupprimerCéline disait qu'il fallait se débarrasser des mots avant qu'ils fassent des phrases.
Werber est plus fort : il se débarrasse des lettres avant qu'elles fassent des mots.
Merci, Bernard !
Trop pas compliqué de te lire.