mardi 16 janvier 2018

Depuis l'au-delà de la connerie

Bon, on ne va pas tourner autour du pot: Bernard Werber sort un nouveau roman, un peu comme d'autres sortent leur chien, dirait-on. Le titre est assez prometteur: Depuis l'au-delà. On a déjà envie de décrocher son nécrophone, non? Mais à peine l'a-t-on ouvert, ce livre plein de pages imprimées, à peine en a-t-on commencé la lecture qu'on s'aperçoit qu'il ne s'agit pas d'un roman! Non, c'est un manuel de rédaction. Bernard Werber a décidé de nous raconter comment il s'y prend pour écrire un livre haletant destiné à être lu par des yeux. Pour ceux qui douteraient de la chose, voici le tout début de ce mode d'emploi du bête-c'est-l'heure :

" A peine réveillé, l’écrivain Gabriel Wells bondit de son lit. Il a enfin trouvé en rêve la première phrase de son prochain roman. Une question simple, qui ouvrira le livre sur l’énigme du décès du narrateur.« Qui… m’a… tué ? »
Ce démarrage lui semble offrir un paradoxe qui va l’obliger à trouver une intrigue originale. Comment le héros peut-il s’exprimer s’il est déjà trépassé ? Comment a fortiori peut-il enquêter sur son propre assassinat ?
Excité par ce nouveau défi, Gabriel Wells ne prend même pas le temps de petit-déjeuner. Il sort de son immeuble et marche d’un bon pas pour rejoindre son bistrot habituel, Le Coquelet. Il y a laissé la veille son ordinateur, sorte de destrier électronique qu’il s’apprête à enfourcher comme chaque matin pour sa séance de galop d’écriture.
Il hâte le pas et se concentre sur la recherche de sa dernière phrase. Car pour lui, un roman n’est rien d’autre qu’une phrase d’ouverture – ce qu’on nomme dans son jargon « l’incipit » – qui conduit à une phrase de fermeture – « l’excipit ».
Reste à trouver le mécanisme d’horlogerie qui gouverne l’intrigue et doit aspirer le lecteur dans un système où il va s’enfoncer jusqu’à progressivement oublier sa propre vie pour ne s’intéresser qu’à celle du héros."

Certes, il y a bien une tentative pour accéder à une certaine dimension romanesque, et ce grâce aux belles et précises descriptions de la marche à pied qu'a ciselées le bijoutier Werber, servies par une richesse lexicale assez culottée: "marche d'un bon pas" et "hâte le pas". Certes, Werber ose des images assez radicales, par exemple quand il compare un ordinateur à un "destrier électronique", même si la vision de Werber enfourchant un MacBookAir fait un peu mal aux cuisses. Mais pour le reste on assiste bien à la levée d'un secret: Le romancier doit trouver un mécanisme susceptible d'aspirer le lecteur dans un système. On a presque envie de dire: un piège. Un mélange de tapette à souris et d'aspirateur. Mais surtout, une question cruciale est posée:
"Comment le héros peut-il s'exprimer s'il est déjà trépassé?"
Et un commentaire donné:
"Ce démarrage lui semble offrir un paradoxe qui va l'obliger à trouver une intrigue originale."
Oh, purée. Bref. Nanti de ces indications, vous aussi posez-vous une question à la con et tartinez trois cents pages dans la foulée. Inspiré, vous aspirez. C'est simple, non?

16 commentaires:

  1. et moi qui croyait que c'était le colonel Moutarde, dans la cuisine, avec un ouvre-boite
    comme quoi la littérature vous ouvre les oeils.
    c'est déjà ce que disait Louis XVI qui cherchait le mécanisme de la vie dans les entrailles des pendu.le.s

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  2. Ouap, punaise, Werber se lance dans la métafiction! Ca va faire mal.

    Merci, j'ai bien rigolé.

    Soit dit en passant, c'est "explicit" et pas "excipit" si M. Fourmi passe par là.

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    1. Pour moi il s'agirait plutôt de la clausule, si je me souviens bien de mes cours de littérature française au lycée... mais il est vrai qu'ils sont maintenant lointains !

      Jules

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    2. L'explicit est une forme de clausule mais la clausule n'est pas forcément un explicit.

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  3. Peut pas laisser crever tranquille son narrateur le Gabriel ? Non, tout trépassé faut encore qu’il nous suce le cerveau avec ses questions pourries !?
    Quel lamentable secret et tu parles d’une intrigue originale, Gabriel, Lucy : une vieille re-sucé inversée , il se prendrait pas pour le Verbe incarné le Weber ?
    Cette histoire d’ordi sur patte ça me rappelle que j’ai croisé deux crevards comme ça il y a dix ans, bien planqués derrière leur écran comme sous les jupons de môman mais c’est l’ordi des autres qu’ils enfourchaient, comme des anonymes de ce genre de raclures décrites là : lamaindesinge.blogspot.fr/trou-rats.htlml.
    Tout comme les derniers des tox ils s’empressent de te refourguer leur poison sous le manteau pour ne pas être tout seul à patauger dans leur enfer. Les zombis sont toujours parmi nous, la bonne nouvelle !
    Et pourquoi je vous dis ça…bah, y ‘a des secrets comme ça qui vous chauffent les oreilles.

    Merci pour vos articles
    Elise

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  4. Cher monsieur,
    Il y a moins d'une dizaine d'années, lors d'un certain salon saumurois, me semble-t-il, vous vous êtes trouvé en position (sic) de rafler le MacQuelque chose du BW sus-cité et de publier une partie de son œuvre sous votre nom, ce qui vous aurait permis de mettre à l'épreuve des faits une théorie sur le con-tenu et le con-tenant, le fond et l'informe, etc. dont les implications continuent aujourd'hui de me hanter.
    Pour une raison qui m'échappe, vous avez laissé passer votre chance, et vous êtes reparti d'un pas que j'imagine alerte, mais qui, à présent que j'y repense, n'était peut-être que "mesuré" (je ne sais plus / j'avais bu).
    A présent, tandis que certains s'échinent à percer les secrets de la vie et de l'amor (fati ?), vous vous répandez en ratiocinations oiseuses sur l’œuvre du grantome. C'est bien triste, vous êtes aigri, etc.
    Encore plus triste : moi non plus, je n'ai pas piqué le Mac. Et je suis là à vous lire au lieu de me tripoter la nouille dans une baignoire débordant de Ruinart. Y a-t-il une mort après l'avis ?
    Bien cordialement,
    F.

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    1. "L'homme ne sent pas naître, il souffre à mourir, et il attend de vivre." La Bruyère. Ça devrait te faire la semaine, ça.

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    2. comique ce que vous avez répondu au petit comique.

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  5. Je crois que je me suis mise à déteste BW quand je l'ai vu à la Foire du livre de Bxl, en pleine dédicace, l'oreille vissée à son portable... j'y ai vu un énorme manque de respect pour les centaines de personnes (oui, plusieurs tours de stand de file) qui attendaient pour échanger qques mots avec lui.
    En même temps, je n'ai lu que sa série les fourmis (que j'ai trouvée vraiment pas mal jusqu'au 3, qui est une cata).

    Mais merci de me confirmer de ne pas m'approcher :-)

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  6. prions pour qu'il y ait une date d'expirateur pour les peri/m/o/auteurs…

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  7. il y a des livres intéressants sur la façon d'écrire comme Un écrivain en pyjama de Laferrière mais ici, vraiment, quel ennui; merci pour l'avertissement.

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  8. La trilogie des Fourmis était excellente (d'après mes souvenirs : j'ai lu le premier tome à 15 ans). Avec les Thanatonautes ça a commencé à se gâter. Ce dernier opus ne doit faire que confirmer la tendance.
    Bernard Werber : "Un bon livre c'est comme une bonne blague".
    C'est déjà ça.

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  9. C'est marrant comme le dézingage crée un terreau fertile pour les commentaires.

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    1. Relisez bien les commentaires des billets précédents. Que constatez-vous ?

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  10. Un truc que je ne saisis pas.., pourquoi certains laissent des commentaires genre je suis mieux que Claude Hagège pour m'exprimer en cul de poule sur un blog d'un écrivain et traducteur qui lui se La pète pas plus haut que son cul ? Wesh, respect Claro !

    Fortunat'

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  11. Ding Dong Daddy From Diddy Wah Diddy21 janvier 2018 à 10:16

    C'est surtout une sorte de malentendu entre deux conceptions très différentes de la littérature: Werber sait construire des intrigues stéréotypées mais efficaces qui conviennent bien aux lectures de plage. C'est un vrai talent mais c'est quand même un peu consternant de voir que plein de gens en viennent à l'acclamer comme un "grand écrivain". Dans les livres que Claro écrit ou traduit, il y a toujours un véritable projet esthétique sous-tendu par des exigences structurelles et stylistiques pour essayer de prolonger le projet baudelairien de "trouver du nouveau" (je schématise, mais bon...) Evidemment, le public pour ce genre de livres est plus clairsemé, on ne peut que le déplorer et/ou passer des heures à essayer de déterminer le pourquoi du comment. Là où on peut concevoir que ça devient plus pénible, c'est lorsque Werber se pique de rafistoler de (très) vieux coucous de la littérature expérimentale en faisant passer ça pour une audace extraordinaire auprès de son public (c'est un gros classique de certains écrivains médiatiques ; Houellebecq a également fait le coup avec son bouquin sur l'art contemporain.) Mieux vaut lire Werber que de ne rien lire du tout, mais à ce compte-là, autant braver la paresse intellectuelle et partir à la découverte d'autres écrivains bien plus passionnants.

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