samedi 26 octobre 2024

Neige Sinno dans les forêts de la nuit


J'ai donc attendu un an pour lire Triste Tigre de Neige Sinno, afin d'y entrer sans trop ressentir la pression et l'attention dont ce livre a bénéficié. C'est un livre exceptionnel, à bien des égards, car s'il tente de baliser un drame qui au-delà de ses particularités est universellement répandu, il n'en reste pas moins que, par sa forme et son ton, il atteint admirablement sa cible. Sa cible? Oui, autrement dit: nous, ceux et celles qui lisent Triste Tigre. Mais ce texte n'a rien d'une flèche, ou plutôt c'est une averse de flèches, comme autant de questions lancées dans le vide de notre sidération et de notre épouvante.

Neige Sinno se pose – et nous pose – de nombreuses questions, et son grand mérite est moins d'apporter des réponses que de déconstruire ces questions jusqu'au point où la raison, cédant devant l'horreur de l'acte et l'opacité du violeur, s'autorise à dire: "Je ne sais pas." Il n'est pas bien sûr question dans ce livre d'un simple constat d'ignorance: à la question "pourquoi le violeur agit", la réponse la plus cinglante existe: parce qu'il le peut. Et c'est là que Neige Sinno enfonce le clou d'une vérité incontournable: le viol est moins une affaire de sexe que de pouvoir:

"Ils [ceux qui violent en temps de guerre] violent parce qu'ils peuvent, parce que la société leur donne une possibilité, parce qu'on leur a donné l'autorisation, et que quand un homme a la permission de violer, il viole." (p.192)

A ce pouvoir, à cette quasi impunité qui fait que les trois quarts des affaires de viol et d'inceste n'aboutissent à aucune condamnation, que peut l'écrivain, l'écrivaine? Neige Sinno est formelle: l'écriture ne débouche sur aucun salut. Elle ne sauve pas. Si l'on raconte sans fioritures, on reste dans le document, le témoignage. Si on tente de faire œuvre littéraire, on salit sans doute quelque chose. La force du texte de Sinno est de se tenir, en une courageuse oscillation, entre ces deux pôles. L'apparent détachement qu'elle adopte dans son récit comme dans ses nombreuses analyses et réflexions, il faut je crois le concevoir comme une distance chèrement acquise, une distance qui permet de confronter la froideur du factuel au feu du sensible. Ce qui ne peut être traduit peut néanmoins être porté par la phrase. 

En s'entourant de figures tutélaires comme celles de Nabokov, Woolf, Chalamov, en mettant sa sa démarche en résonance avec des écrits de Dorothy Allison, Annie Ernaux, Christine Angot ou Mary Gaitskill, Neige Sinno cherche moins à se situer dans une tradition littéraire qu'à confronter son propos à d'autres traitements, d'autres stratégies narratives ou réflexives. Consciente de la singularité irrévocable de son histoire, elle veut également la mettre en relation avec d'autres histoires, et surtout, d'autres modes d'exposition. Une autre famille existe que celle, toxique, qui permet l'indicible.

J'ai parlé plus haut de "distance", j'aurais pu même prononcer le mot "humour". Oui, car Triste Tigre n'est pas "sinistre" – les faits le sont suffisamment, et les faits ne disent pas à eux seuls ce qui est éprouvé dans la chair, l'esprit, la mémoire, l'impensé. Un humour très discret le parcourt, dont l'auteure ne méconnaît pas, loin de là, la dimension dangereuse. En effet, ainsi qu'elle souligne, la personne violée, dès lors qu'elle "semble" passer à autre chose, "semble" laisser entendre que finalement on s'en remet, d'un viol, ce qui revient à minimiser l'acte et, partant, la responsabilité du violeur dans ce qui n'est qu'une longue destruction. Comme si la personne violée était prise en étau entre le devoir de dépression et l'injonction à la résilience.

L'humour déployé par Neige Sinno, du moins en ai-je l'impression, n'a rien d'une posture faussement désinvolte: il est de l'ordre de la générosité. Une générosité envers le lecteur, que l'horreur peut à tout moment paralyser – or la littérature permet d'éviter tout figement. D'où ce livre sans cesse en mouvement, au centre sans cesse déplacé, qui nous oblige nous aussi à questionner notre place, interroger notre perspective, évoluer dans notre silence ô combien bruissant de lecteur. Je ne dirai évidemment pas que Triste Tigre est un livre joyeux: mais c'est un livre qui, dans les forêts de la nuit, sait encore sourire – pour nous épargner, possiblement. Nous protéger?

____________________

Neige Sinno, Triste Tigre, P.O.L, 20€

jeudi 24 octobre 2024

Lee Miller, des images à l'épreuve de l'écran


Le film Lee, inspirée de la vie de la photographe Lee Miller, n'est certes pas un grand film, même s'il parvient, grâce au talent indéniable de Kate Winslet, à restituer en partie la personnalité de celle qui refusa de se cantonner dans le rôle d'une muse surréaliste pour vivre pleinement sa vie d'artiste.  Mieux vaut peut-être se reporter, donc, au livre qui l'a inspiré, à savoir l'ouvrage écrit par le fils de Lee Miller, Antony Penrose, intitulé Les vies de Lee Miller.

C'est un des premiers livres que j'ai traduits: Paru aux éditions Arléa en 1994 (en collaboration avec le Seuil), à une époque où la photographe américaine était peu connue en France, il a marqué le début d'un intérêt croissant pour cette femme audacieuse. Trente ans après sa parution, on mesure mieux le temps que prend un destin extraordinaire à s'imposer aux consciences, dès lors qu'il concerne une femme. Entretemps, d'autres livres ont permis de mieux appréhender la personne et le travail de Lee Miller. Mais cet ouvrage a le mérite de prouver, si besoin est, qu'il a fallu trois décennies pour que son œuvre parvienne jusqu'au grand public à la faveur d'un film.


Présentation de l'éditeur: 

"Top model dans les années 20 et 20, élève et compagne de Man Ray, amie d’Eluard et de Picasso, grande amoureuse, égérie des surréalistes, Lee Miller fut également photographe dès l’âge de vingt ans, puis reporter. En 1944-45, devenue correspondante de guerre pour le magazine Vogue, elle fut la seule femme à suivre l’avance des armées alliées, des plages de Normandie aux camps de la mort et au « nid d’aigle » d’Adolf Hitler en Bavière. De cette héroïne stendhalienne, aussi étonnamment belle qu’intrépide, de cette troublante voyageuse, le photographe David Scherman disait qu’elle « incarna au plus près la nouvelle femme du milieu du XXe siècle ».Traduite pour la première fois en français, on lira ici la biographie écrite par Antony Perose, le propre fils de Lee Miller. Accompagné d’une centaine de photographies choisies et présentées par Sylvain Roumette, ce livre raconte les vies de celle qui fut, à coup sûr, l’une des femmes les plus extraordinaires de ce temps."

________________

Antony Penrose, Les Vies de Lee Miller, traduit de l'anglais par Claro, d. Arléa

mardi 22 octobre 2024

Alan Moore: Dans l'ombre effondrée de Londres

 


Vient de paraître aux éditions Bragelonne, le premier volume d'une saga en 5 parties intitulée "Long London". Le titre? Le Grand Quand. Après l'immense Jérusalem (éd. Inculte), Moore délaisse son Northampton d'élection pour la capitale anglaise. Actuellement en cours d'écriture, ce projet démentiel devrait voir sa publication se dérouler sur près de dix ans, à raison d'un volume livré tous les un an et demi (et traduit par votre serviteur).

L'intrigue, ficelée et machinée avec ce génie de la précision et cette appétence pour l'hallucinatoire qui sont la marque de fabrique du grand Moore, nous entraîne dans le sillage d'un jeune garçon mal dégrossi qui se retrouve à la croisée de deux mondes, celui du crime et celui d'un Londres "souterrain", où il est possible de s'aventurer à ses risques et périls. Drôle, insensé, touchant, ce premier volume fait de la magie une arme de réinterprétation massive de la réalité, et d'une ville un immense et horrifique mille-feuilles surréaliste. Sous ses atours dickensiens, le roman fait revivre un Londres oublié, celui de l'après-guerre, qui voit les crimes en série prendre le relais du grand massacre européen. L'érudition de Moore, son sens cinématographique du rythme, la palette folle de sa langue, son imagination affranchie de toutes limites confirment ce qu'on avait éprouvé à la lecture de Jérusalem: Moore est un grand maître, le digne héritier de Lovecraft et Machen, un ahurissant styliste de l'impossible. Un mage sinon rien.

Mais encore? Voici ce qu'en dit l'éditeur…

Londres, 1949. Jeune homme désargenté, Dennis Knuckleyard vit et travaille dans une librairie d’occasion. Bien qu’aspirant écrivain, il mène une existence passablement ordinaire. Jusqu’au jour où sa patronne l’envoie chercher des livres rares chez un étrange bibliophile paranoïaque. Dennis comprend que l’un d’eux, Une promenade dans Londres, par le Révérend Thomas Hampole, n’existe pas : il s’agit d’un texte imaginaire figurant dans un roman, réel celui-ci, écrit par un autre auteur. Si Hampole et son ouvrage sont inventés, comment ont-ils pu se retrouver entre les mains de Dennis ?

Dennis découvre alors qu’ils proviennent de l’autre Londres, le Grand Quand, une version de la ville située au-delà du Temps où tous les aspects de son histoire, depuis ses origines jusqu’à sa disparition, se manifestent. Là, les époques se mélangent, les réalités et les irréalités se fondent, et des notions telles que le Crime et la Poésie s’incarnent en des êtres terrifiants et merveilleux. Et si Dennis ne rapporte pas le livre dans cet autre Londres, c’est la mort qui l’attend.

Ainsi débute son périple dans l’autre Londres. Afin de restituer le livre irréel, Dennis doit plonger dans les bas-fonds occultes de la ville, où il va rencontrer une tribu excentrique de sorciers et de gangsters, ainsi que Grace Shilling, une prostituée qui accepte de l’aider ; le prince Monolulu, un célèbre pronostiqueur hippique prétendant être un prince abyssinien ; ou encore Jack Spot, un truand impitoyable cherchant à s’assurer le contrôle de la pègre. Mais en pénétrant dans le Grand Quand, Dennis se retrouve au cœur d’une série d’événements explosifs, qui risquent de changer à jamais les deux Londres…


_____________

Alan Moore, Long London, t.1, Le Grand Quand, traduit de l'anglais par Claro, éd. Bragelonne, 384 pages, 25 €

vendredi 18 octobre 2024

L'inconnu qu'on a été: Hélène Gaudy aux portes du père

Max Ernst, Le Couple (1923)

        En se lançant dans la lecture d'Archipels, d'Hélène Gaudy, on se dit qu'il va s'agir, sans doute, d'un énième livre sur le père comme il en point tous les quatre matins, mais ce naïf a priori s'évapore bien vite devant l'incroyable enquête menée par l'autrice, une enquête qui consiste moins à re-créer la figure du père, et à se faire le témoin de son passé enfoui, qu'à convoquer les leurres et les puissances de l'écriture afin d'explorer l'île, ou plutôt l'archipel, qu'est toute vie vue de l'extérieur.

Très vite, en effet, ce qui aurait pu être un portrait pointilliste – et qui l'est d'une certaine façon, par la méthode, l'approche – se change en une entreprise quasi paléontologique, où à force de sonder des strates, à force de délicates excavations et de patients archivages, Hélène Gaudy parvient avec une précision qui tient du miracle à rendre sensibles et intelligibles les zones d'ombre qui font qu'une vie se définit autant par ce qu'elle montre que par ce qu'elle tait, cache, écarte. Détourer ne suffit pas, il faut aller plus loin, essayer de comprendre ce qui a présidé à ce détourage, comment "l'inconnu qu'on a été" s'est formé, transformé, inventé.

L'originalité de l'approche à laquelle s'est livrée Gaudy, et ce sur plusieurs années, vient de ce qu'elle a associé l'objet de sa recherche – le père – à son enquête, non seulement parce qu'elle a compris qu'un sujet observé modifiait nécessairement l'observation à laquelle on le soumet, mais également parce qu'elle veut, en impliquant le sujet, amener ce dernier à réinvestir les limbes de son passé. Le père a tourné la page, une page, plusieurs pages sur son passé? C'est donc qu'un livre de la vie a été écrit, puis rangé, mais où? sur quelle étagère range-t-on la somme de ce qui nous a constitué? Ce que tente d'approcher, et ce que, à notre grande stupeur et immense émotion, Gaudy parvient à toucher, c'est la matière folle et fuyante d'une vie en mouvement, autant que les échos et reflets que cette vie disperse dans un présent sans cesse caduque. L'approcher, le toucher, mais surtout le nommer: Archipels n'est pas un compte rendu – on n'y solde aucun compte, en vérité – mais une re-création. Une nouvelle géographie. Le père est un radar qui enregistre tout mais, comme tout radar, il échappe nécessairement à notre surveillance. Comment radiographier un radar? 

Si tout, dans une vie, est bien vite éparpillé, disséminé, effacé, caché, oublié, il faut opposer à cet enfouissement majeur la collecte têtue et patiente de témoins – et dans le cas d'Archipels, ces "témoins" sont moins des êtres que des objets, d'étranges reliques hétérodoxes accumulées par le père dans son atelier parisien. Une caverne d'Ali-Baba, un Fort Knox de la mémoire, un extravagant bazar où ce qui est entassé en dit aussi long que l'entassement lui-même, où il est difficile de savoir si tout ce qui a été conservé l'a été pour baliser la mémoire ou faire de cette dernière un empire imprononçable.

Lisant ce livre, suivant à la trace Gaudy faire de ces traces davantage que des vestiges, on se demande ce qu'elle va trouver, comment elle va faire pour s'extraire de ce labyrinthe qu'est l'atelier, si elle ne va pas y être ensevelie, et nous avec, l'obscur agrégat du passé paternel nous empêchant, elle comme nous, d'entrevoir une lueur donnant accès au père-tel-qu'il-fut. Mais c'est un devenir et non un être que traque – non: qu'appelle, convoque – l'autrice, et voilà soudain que le "temps perdu" qu'elle arpente minutieusement s'élargit comme un poumon qui soudain se défroisse, voilà qu'on quitte partiellement l'histoire subatomique pour entrevoir un plus vaste récit: il y a les voyages, et donc les pays, et forcément l'Histoire, la guerre,  la Résistance, l'Algérie, la bombe dans le désert de Reggane, mais aussi d'autres généalogies, le grand-père qu'on devine un père au carré, et les amours, les flirts, la solitude, et surtout les écrits, les écrits du père, mine infinie de ressources à aucun usage connu destinées, poèmes satellites, une boîte de Pandore qu'ouvrir ne suffit pas – mais la mise à jour d'un continent opaque, quand bien même on échoue à en devenir le patient Champollion, n'est pas un échec: il faut aussi exhumer l'ombre, à défaut de la dissiper, si l'on veut distinguer clairement par quelle éclipse secrète on devient ce qu'on est. Comment, de fils, on devient père, et, dans l'ombre, la foule des soi qu'on a été. L'archipel des autres nous.

C'est pour toutes ces raisons qu'Archipels est un livre unique, infiniment précieux, un livre valeureux, au sens fort – qui a de la valeur et fait preuve de bravoure. Comme si, voulant découvrir le père, on se devait de le re-créer, non pas le réinventer, mais permettre à la galaxie de ses instants perdus de faire œuvre, une nouvelle fois. Et non seulement ça, mais demander qui plus est au père de scruter à son tour tout ce qui, dans sa trajectoire, a pu être sauvé. De lui rendre, pour ainsi dire, sa vie, sous la forme éminemment fragile et dangereuse, d'un livre.

Ce faisant, bien sûr, Hélène Gaudy s'expose, ne serait-ce que dans les anfractuosités de sa quête. A tout moment, elle sait que, de géologue, elle risque de devenir artificière. Que toute matière trop longtemps enfouie peut se révéler explosive, et allez savoir qui sera atteint, irradié. Mais sa prose est une fièvre prudente, qui parvient, sans jamais frôler la formule, à dire très exactement ce qui se joue dès lors qu'on s'introduit dans une mémoire autre. Il fallait pour cela former des miracles, forcer la phrase à survivre à l'enfouissement, et diffuser sereinement au grand jour. Vaincre la vanité de l'aventure généalogique pour explorer et révéler, obstinément et généreusement, l'infinie richesse d'un silence soigneusement orchestré. Retrouver l'aube du crépuscule. Un précédent livre d'Hélène Gaudy, magnifique lui aussi, s'intitulait Une île, une forteresse – un titre qui aurait très bien pu convenir à celui-ci.

_______________________

Hélène Gaudy, Archipels, éditions de l'Olivier, 21 €

samedi 5 octobre 2024

La communauté des isolés: Slimane Touhami et les pommes de l'exil


Anthropologue de métier, Slimane Touhami a décidé de se pencher sur le quotidien des ouvriers agricoles marocains venus se casser dents et reins dans le Sud de la France; il les a côtoyés dans les années 80 et suivantes, ces descendants de Chibanis peu gâtés par les Trente Glorieuses. Mais bien que rompu à l'approche sociologique, Touhami, par ailleurs docteur de l'EHESS, ne livre pas une étude austère agrémentée de graphiques et étayée par des statistiques. Il s'aventure davantage du côté du poème en prose, en sa veine baudelairienne, scrutant l'or dans le trivial et taillant des portraits où l'empathie jamais ne s'englue dans la fascination. Une autre façon de dire la peine, l'exil, et la galaxie des attitudes et destins que ces deux mots ne peuvent à eux seuls étreindre.

En une trentaine de "tableaux" (c'est ainsi qu'il dénomme ses chapitres), Touhami sait peindre aussi bien le corps partiellement brisé et l'esprit battant la campagne, la douleur des membres et l'or des rares sourires. Les compagnons de son étude sont pour la plupart des cueilleurs de pommes, gentiment arnaqués par des patrons profitant de leur analphabétisme, égarés dans des vergers sans Hespérides ni espérance – "des pommes gasconnes issus d'un cultivar néo-zélandais qui, demain, feront le plaisir d'une famille allemande en pique-nique au bord d'un lac autrichien". Loin du bled, logés dans des boîtes, ils forment les maillons d'une longue chaîne d'émigrés venus aider la France à se remonter les manches, à défaut de leur tendre la main.

La langue de Touhami, si elle n'oublie pas les outils sociologiques – évoquant "la broyeuse hypermoderne d'une urbanité des marges" –,  s'attache davantage aux callosités des mains, à la texture d'un ciel d'orage, à telle démarche, tel geste. Comme si, pour mieux comprendre ces destins liés à l'exploitation, au racisme et à la déshérence, il importait avant tout de rendre au cadre où ils survivent l'éclat d'un monde dénaturé. L'orage? "Limace titan au pied pourpre, l'orage traîne sa masse vers pour y mourir. […] La menace voilée sur l'horizon, le ciel qui implose, les hommes à la recherche d'un abri, la grêle exécrée."

A la fois profondément ancré dans le réel qu'il décrit et décrypte avec une bienveillance qui ne s'en laisse pas compter, et soucieux de rendre ces tableaux plus vivants que nature, Touhami sait en quelques mots esquisser une silhouette, rendre révélatrice une parole anodine, arracher le singulier d'un sort pour le porter aux nues d'un commun calvaire. Grâce à lui, les ouvriers agricoles deviennent des "princes de Cocagne", mais sans qu'aucune sublimation ne vienne occulter les douleurs de leur destin.

Décidément, après Comment sortir du monde, de Marouane Bakhti (dont on a parlé ici), les Nouvelles éditions du Réveil se révèlent un vivier atypique d'auteurs aussi sensés que sensibles.

_______________

Slimane Touhami, Les Princes de Cocagne, Les Nouvelles éditions du Réveil, 12€

mercredi 2 octobre 2024

Perec, l'ours et la vieille grille


Aujourd'hui paraissent trois nouveaux volumes de la collection Perec 53 lancée par les éditions de L'Oeil ébloui, collection qui comportera 53 textes écrits par 53 écrivain.e.s ou artistes, tous en lien avec l'œuvre de Georges Perec — au programme: un texte d'Anne Savelli intitulé Lier les lieux, élargir l'espace; un autre d'Antonin Crenn intitulé Terminus provisoire, et un troisième de l'auteur de ce blog, Une seule lettre vous manque, texte qui tourne autour de La Disparition et envisage ce roman comme un précis de traduction – et un passeport pour l'au-delà.

A l'occasion de cette triple parution, une rencontre aura lieu jeudi 10 octobre avec les auteur.e.s et l'éditeur. Toutes les infos sont données en dessous de la phrase que vous êtes en train de lire et qui doit s'interrompre afin que vous puissiez lire les infos données juste après sa fin nécessaire mais pas forcément obligatoire puisqu'on pourrait continuer et parler avec ardeur de l'entrepris folle de l'éditeur Thierry Bodin-Hullin, tout comme on aimerait vous reparler du magnifique Musée Marilyn de Savelli ou du passionnant L'épaisseur du trait de Crenn, le premier publié par mes soins aux éditions Inculte, et le second par Publie-net (et chroniqué à l'époque dans Le Monde des Livres par votre serviteur, comme quoi tout est dans tout et le reste dans Télémaque, comme disait mon professeur d'histoire de khâgne), mais l'important est que vous ayez toutes les infos pour vous rendre à cette rencontre, donc il est temps de mettre un point à cette phrase, ou du moins un tirer, ce qui est une façon de finir sans vraiment finir —